LA QUESTION ROMAINE


CHAPITRE PREMIER

PIE VI
ET LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

§ 1. La campagne d'Italie de 1796-1797
et le Traité de Tolentino.

La première atteinte portée à l'intégrité des États Pontificaux, vers la fin XVIIIe siècle, remonte au 11 juin 1790. Ce jour-là, certains éléments de la population

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Bibliographie - Sources:

L. DUHAMEL, Documents sur la réunion d'Avignon et du Comtat Venaissin à la France, 1790-1791, Paris 1891. - Manifeste de la ville et Etat d'Avignon publié par ses députés chargés de faire agréer à l'Assemblée Nationale sa réunion à l'Empire français, 41 p., s. d. [juin 1790] - [Passeri], Mémoires sur la Révolution d'Avignon et du Comtat Venaissin, 1793, 2 vol. [Imprimés à Rome]. L. G. Pellissier, Documents Révolutionnaires, Marseille, 1891.

Correspondence de Napoléon Ier, Paris, 1855, t. I. - L. SÉCHÉ, Les origines du Concordat, Paris, 1894, t. I. - G. Bourgin La France et Rome, de 1788 à 1797, Paris 1909. - A. Von Vivenot, Thugut, Clerfayt und Würmser, juli 1794-feb 1797, Vienne 1869. - Baldassari-Lacouture, Histoire de l'enlèvement et de la captivité de Pie VI, Paris, 1839. - De Clercq, Recueil des traités de la France, Paris, 1864, t. I. - A. de MONTAIGLON et J. GUIFFREY, Correspondance des Directeurs de l'Académie de France à Rome avec les surintendants des bâliménts, Paris, 1907-1908, t. XVI et XVII.

Travaux - CALVI p. 41-47 - A. MATHIEZ, Rome et le clergé français sous la Constituante. La constitution civile du clergé. L'affaire d'Avignon, Paris, 1911 (ouvrage important quoique partial à l'égard du Pape). - P. CHARPENNE, Les grands épisodes de la Révolution dans Avignon et le Comtat, Avignon, 1924, 4 vol. - J. VIGUIER, La Réunion d'Avignon et du Comtat Vennaissin à la France (août 1789-sept 1794) dans la Révolution française, t. XXI (1891), p. 424-449, t. XXIII (1892)

Avignonnaise, désireux d'embrasser les principes de la Révolution et de rompre les liens séculaires qui les unissaient au Pontife Romain, votèrent l'annexion à la France. Les quatre délégues qu'ils députèrent à Paris furent reçus solennellement le 26 juin, mais la Constituante n'accepta pas aussitôt le don magnifique; elle ordonna une enquête et ménagea le Saint-Siège, en entrent en négociations avec lui. L'annexion ne s'effectua que le 17 septembre 1791, après que les habitants du Comtat Venaissin, auxquelles elle n'avait pas souri tout d'abord, en eurent voté le principe. A cette date, d'ailleurs, des rapports diplomatiques n'existaient plus entre Pie VI

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t. XXVI (1804), écrit d'après les Archives Nationales; (hostile à la Papauté).

J. DU TEIL, Rome, Naples et le Directoire, Armistice et traités, 1796-1797, Paris, 1902.
L. SCIOUT, Le Directoire et le Grand duc de Toscane, dans RQH, t. XL (1886)
Rome et le Directoire et Bonaparte en l'an IV et l'an V, (1796-1797), t. XLI (1887)
-articles plus fouillés que les chapitres relatifs aux mêmes sujets qui figurent dans l'ouvrage retenu comme classique,
Le Directoire, Paris, 1895-1897, 4 vol; l'auteur n'a utilisé que les sources française.
Pio VI fedifrago o il generale Bonaparte?, dans Civilta Cattolica, 1923, t. I et t. II,
(quelques documents tirés des Archives Vaticanes).

Vle? De Richemont, La première rencontre du Pape et de la République Française; Bonaparte et Caleppi a Tolentino d'après les documents inédits des Archives Secrètes du Saint-Siège, dans Le correspondant, 10 sept. 1897.

B. Maresca, La pace del 1796 tra le Due Sicilie e la Francia, studiata sui documenti dell' Archivio di Stato in Napoli, Naples, 1887.
F. Masson, Les diplomates de la Révolution: Hugon de Bassville à Rome, Paris, 1882
Napoléon et sa famille, Paris, 1897, (le t. I contient des détails sur l'ambassade de Joseph à Rome).
A. Da Mosto, Milizie dello Stato Romano dal 1600 al 1797, Citta di Castello, 1914
(d'après ce livre l'état de l'armée Pontificale était deplorable).

A. Duforcq, Le régime Jacobin en Italie. Etude sur la République Romaine, 1798-1799, Paris, 1900.
A. Bourdeault, François et Pierre Cacault, dans Mémoires de la societé d'histoire de Bretagne, t. VIII, (1927).
A. Sorel, L'Europe et la Révolution Française, t. V, Bonaparte et le Directoire (1795-1799), Paris, 1903.
G. Mestica, La battaglia di Faenza e il generale Colli, dans Nuova Antologia, 16 oct. 1901.
H. von Sybel, Histoire de l'Europe pendant la Révolution Française, trad.
M. Dosquet, Paris, 1869-1888, 6 vol.
M. Sepet, La politique religieuse de Bonaparte en Italie - Bonaparte et Pie VI, dans RQH, t. XCVII (1921).

et le gouvernement français.1 Néanmoins l'Assemblée nationale décréta le roi serait prié "de faire ouvrir des négociations avec la cour de Rome pour traiter des indemnités et dédommagements qui pourraient lui être légitimement dus2."

Le meurtre perpétré le 13 janvier 1794 par la plèbe romaine sur la personne du Français Hugon de Bassville exaspéra les Conventionels. N'eût été l'impossibilité où ils se trouvèrent de réaliser leurs projets belliqueux, ils eussent dépouillé, sans nul doute, Pie VI du reste de ses États. En 1796, le Directoire jugea l'heure propice de tirer vengeance du Pape: le 7 mai, il passa l'ordre au Général Bonaparte de marcher sur Rome. Le chef de l'armée d'Italie, qui nourrissait d'autres desseins, se contenta de formuler des menaces à l'adresse du Saint-Siège au cours d'une harangue débitée à Milan, le 20 mai, devant ses troupiers: "Retablir le Capitole, y placer avec honneur les statues des héros qui se rendirent célèbres, réveiller le peuple romain engourdi par plusieurs siècles d'esclavage, tel sera le fruit de vos victoires.3

Ces violences de langage n'avaient, sans doute, d'autres fins que de donner une satisfaction apparente au Directoire et d'efrayer le Pape. Au mois de juin, Bonaparte franchit le Pô. Une corps de troupe s'empara du fort Urbain à Castelfranco et s'avança dans la direction de Bologne où il entra le 19 4 sans recontrer de résistance, car, suivant les instructions reçues de Rome, le légat Valenti avait sévèrement interdit tout acte d'hostilité et toute parole malsonnante contre

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1. J. DU TEIL, Rome, Naples et le Directoire, p. 5.
Le nonce, Mgr. Dugnani, demanda ses passeports le 24 mai 1791; son auditeur, Mgr. Quarantotti, recut l'ordre de quitter Paris, à la fin du mois de juillet.
2. A. Mathiex, Rome et clergé français sous la Constituante, p. 219.
3. Correspondance de Napoléon Ier, t. I, p. 369, n. 461.
4. Correspondance de Napoléon Ier, t. I, n. 657, 663, 665, 668.

les envahisseurs. Pignatelli, légat de Ferrare, vint rejoinder son collègue, sur le vu d'un billet impératif: "Le général en chef de l'armée d'Italie vous donne l'ordre, Monsieur, de vous rendre, avant midi, demain, à son quartier général, à Bologne."1 Les deux cardinaux se virent traiter en prisonniers de guerre, malgré la neutralité qu'ils avaient scrupuleusement observée , et des institutions démocratiques les suppléèrent. Le reste de la Romagne tombe rapidement entre les mains de l'ennemi qui parvint jusqu'à Faenza.2

Pie VI n'entrevit son salut que dans l'obtention d'un armistice. Il allait au-devant des désirs du vainqueur, qui écrivait le 21 juin: "J'ai la plus grande impatience de sortir des toutes ces opérations qui affaiblissent considérablement l'armée. La chaleur est excessive, et nous n'avons pas un moment à perdre à repasser le Pô afin de pouvoir réunir nos forces contre les Autrichiens qui se renforcent d'une manière très alarmante.3 Aussi obeit-il plutôt a l necessite qu'au désir d'agréer aux solitations du chevalier d'Azara, ambassadeur d'Espagne à Rome, qui avait assumé le rôle de médiateur, en signant l'armistice de Bologne, le 23 juin. Les conditions qu'il avait imposées étaient très favorables à la réalisation de ses plans: elles lui garantissaient la possession de Bologne et de Ferrare, lui permettaient d'occuper le port d'Ancône, mettaient à sa disposition d'abondants approvisionnements, de l'artillerie, des chevaux et une contribution de guerre qui s'élevait au chiffre respectable de 15.500.000 livres.4

Pour dures qu'elles fussent, les clauses de l'armistice apaisèrent l'anxiété de Pie VI. Quand la connaissance lui en parvint, il poussa un soupir de soulagement, suivant les dires de Mendizabal, secrétaire de l'ambassade d'Espagne:

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1. Ibidem, t. I, p. 658 (lettre du 20 juin 1796).
2. J. DU TEIL, Rome, Naples, et le Directoire, p. 135.
3. Correspondance de Napoléon Ier, t. I, p. 521, (lettre du 21 juin 1796)
4. Voir Appendice I.

"Enfin, nous respirons donc!"1 Le chevalier d'Azara ne partageait pas la même quiétude: à la date du 3 juillet 1796, il pronostiquait ainsi au prince de la Paix: "D'une façon ou d'une autre, je prévois que tout l'État Ecclésiastique et Rome même seront détruits";2 et il ajoutait, en guise de preuve, "la Romagne est mise à feu et à sang par les Français."3

Les nouvelles qui parvenaient de Paris n'étaient pas plus rassurantes. Les exigences exorbitantes et l'instransigeance des membres du Directoire en matière religieuse avaient amené l'avortement des négociations de paix entamées conformement à l'article II de l'armistice de Bologne. Le diplomate Pontificale - Mgr Pieracchi - avait, à bon droit, refuse de souscrire à l'Article IV du projet de Traité du 10 août d'après lequel seraient désavoués, révoqués et annules (a) "toutes bulles, rescrits, brefs, mandements apostoliques, lettres cirulaires ou autre monitoires, instructions pastorales, et généralement tous les écrits et actes émanés de l'autorité du Saint-Siège et de toute autre autorité y ressortissante depuis 1789 jusqu'à ce jour."4

En août 1796, la situation politique se compliqua. L'envoi de Mgr La Grecca comme vice-légat à Ferrare, parut une provocation de la part du Saint-Siège,5 déjà involuntairement et indirectement compromis par les intrigues que nouaient à Rome les Anglais et les Napolitains.6

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1. L. SÉCHÉ, Les origines du Concordat, Paris, 1894, t. I, p. 186..
2. Ibidem, p. 187.
3. Ibidem, p. 188.
4. J. DU TEIL, Rome, Naples, et le Directoire, p. 526.
5. L. SÉCHÉ, op. cit., t. I, p. 197 et J. Du Teil, op. cit., p. 333-335.
6. L. SÉCHÉ, op. cit., t. I, p. 200.

La reprise des pourparlers de paix, qui eut lieu à Florence, amena une détente passagère. Tout espoir d'accord se trouva définitivement brisé le 14 septembre, cette fois encore par la faute du Directoire qui, loin de se relacher de ses pretentions premieres en matière religieuse, les avait plutôt agravées.1

Pie VI tint à justifier, près de ses sujets, le conduite qu'avaient tenue ses plénipotentaires tant a Paris qu'à Florence. Il les avertit que l'exécution des clauses de l'Armistice de Bologne serait provisoirement suspendue; puis, tout en protestant de son desir de paix, il les invita a repousser la force par la force si les Français franchissaient la frontière. Les evêques, curés et magistrats signifieraient l'appel aux armes, meme au son du tocsin2 (28 septembre 1796).

La circulaire pontificale réjouit fort les partisans de l'Autriche qui prêchaient l'alliance avec cette puissance. L'un d'eux, Mgr Albani, partit pour Vienne avec le titre d'ablégat et la mission de s'entendre avec l'Empereur. L'accueil qu'il recut fut d'abord peu encourageant.3 Le ministre Thugut lui opposa l'attitude adoptée jusque-là par le Pape et son refus maintes fois exprimé de se coaliser avec l'Autriche contre le Directoire. Entre autres griefs, il reprocha au Saint-Siege d'avoir conclu un armistice à Bologne sans que son maitre eut ete pressenti. Par la suite, il se montra plus accommodant: l'intervention des troupes Pontificales, si risquée qu'elle fût - il semble n'avoir professé qu'une médiocre confiance dans leur valeur guerrière - opérerait une diversion utile dont profiterait Würmser; le général Colli se mettrait au service

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1. J. Du Teil, op. cit., p. 340-355.
2. G. Bourgin, La France et Rome de 1788 a 1797, Paris, 1909, appendices XI et XII, p. 224-228.
3. L. Séché, Les origines du Concordat t. I, p. 238, (dépéche de Mendizabal, 30 novembre 1796).

du Pape.1 A Rome, des agents de troubles, excités par des menées étrangères, prédisaient à bref délai le triomphe du feld-maréchel Würmser et la déroute française.2 Leur propagande s'intensifia quand un plénipotentiare napolitain, le marquis del Vasto, parut à la cour Ponticale. Ferninand IV qui passait pour posséder des troupes bien armées et nombreuses, offrait de marcher avec trente mille hommes au secours du Saint-Siège qui proclamerait une sorte de Croisade; on lui céderait, en retour, Bénévent et Ponte Corvo, territoires qu'il avait déjà occupés au mois d'août.3 Quoiqu'une ligue défensive ne se fût pas conclue, Pie VI ne renonça pas a la résistance: il activa l'enrôlement des volutaires et ouvrit en leur faveur une souscription publique.4

Hélas! Ferninand IV se jouait du Pape. Dans le même temps où le marquis del Vasto traitait à Rome, un autre de ses diplomates, le prince di Belmonte, négociat à Paris avec le Directoire.5

Au reste, l'Espagne n'était pas animée de meilleures intentions à l'égard du Saint-Siège. Elle désirait ardemment, pour prix deses complaisances vis-à-vis du Directoire, arrondir les domaines du duc de Parme aux dépens du territoire Pontifical,6 et Bonaparte semblait favoriser ses projets dans une lettre expediée le 1er février 1797.7

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1. Colli quitta Trieste le 1er janvier 1797 (A. Von Vivenot, Thugut, Clerfayt, und Würmser, p. 509) et arriva a Ancone le 7;
le 14 il se trouvait a Imola, (L. Seche, Les origines du Concordat), et le 19 a Rome, (J. Du Teil, op. cit.)
2. L. Seche, op. cit., t. I, p. 196, 200, 233, 250.
3. Séché, t. I, p. 269, et Du Teil, p. 369-370. 4. Séché, et Baldassari-Lacouture, Histoire de l'enlèvement et de la captivité de Pie VI
La levée des recrues s'opéra malaisement, en raison du peu d'enthousiasme que les populations montraient pour le métier des armes;
G. Bourgin, La France et Rome de 1788 à 1797, n. 1493
5. Baldassari, p. 81-91; Du Teil, p. 184-191; Seche, t. I, p. 238.
6. Correpondance de Napoléon Ier, t. II, p. 373, n. 1433.

Quant à l'Autriche qui espérait chasser les Français du Ferrarais et du Bolonais au cours de prochaines opérations militaires, elle prétendit évincer le Saint-Siège. Le 12 novembre 1796, Thugut donnait les ordres suivants au général Allvintzy1: "Si quelque personne se présentait de la part du Pape pour se remettre en possession de Ferrare ou d'une partie quelconque du Ferrarois au nom du Saint-Siège, le général commandant en chef ne souffrira point qu'une telle personne y exerce aucun acte d'autorité au nom de la cour de Rome, ni même qu'elle continue à séjourner dans le pays. Le commandant en chef déclarera qu'il est oblige de s'en tenir simplement et strictement à l'execution de ses ordres, qui portoient, que le Ferrarois devoit etre regi et administre provisoirement sous l'autorité du général commandant en chef l'armée de S. M., que toutes les observations ou réclamations, que le Saint-Père se croiroit dans le cas de faire, devroient etre discutées à Vienne et y être transmises directement." Le ministre ajoutait: "Ces mêmes principes peuvent être appliqués a la province de Bologne." 2

La lecture des journaux parisiens révéla bientôt au Saint-Père le péril qui le menaçait. Le roi de Naples l'abandonnait, car le traité de Paris passé avec le Dirctoire, le 10 octobre 1796, lui impossait "la plus exacte neutralité vis-à-vis de toutes les puissances belligérantes" et spécifiait en outre: "Tout acte, engagement ou convention antérieure de la part de l'une ou de l'autre des deux parties contractantes, qui seroient contraires au présent traité, sont révoqués et seront regardés comme nuls et non avenus."3

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1. A. von Vivenot, Thugut, Clerfayt und Würmser, p. 541, doc. 210, voir aussi, doc. 230.
2. Ibid.
3. De Clercq, Recueil des traités de la France, Paris, 1864., t. I
D'après les informations recueilles par d'Azara et Baldassari, le Directoire aurait garanti tacitement la cession du Bénévent de Pontecorvo, de Ronciglione et de Castro au roi de Naples, (Séché et Baldassari).

Les pourparlers entamés au mois de septembre précédent avec le marquis del Vasto n'avaient plus d'utilité. Dans ces conjonctures, peut-être eût-il mieux valu souscrire aux propositions de paix plus conciliantes qu'offrait l'agent du Directoire, Francois Cacault, suivant les suggestions de l'Espagne? Les menaces proferées par Bonaparte dans une lettre que reçut le Cardinal Mattei etaient claires: "La cour de Rome a refusé d'accepter les conditions de paix que lui a offertes le Directoire; elle a rompu l'armistice, en suspendant l'exécution des conditions; elle arme, elle veut la guerre, elle l'aura... Vous connaissez, Monsieur le Cardinal, les forces et la puissance de l'armée que je commande: pour detruire la puissance temporelle du Pape, il ne me faudrait que le vouloir... Le gouvernement français encore que je rouvre des négociations de paix; tout peut encore s'arranger... La guerre, si cruelle pour les peuples, a des resultats terribles pour les vaincus: évitez de grands malheurs au pays.'1

Etait-il loyal de traiter avec la France, au moment où l'on invoquait le secours de l'Autriche? Le cardinal Busca, secrétaire d'Etat, crut devoir ne pas compromettre son honneur: il consentit seulement à ne pas briser toute conversation avec le Directoire afin de ganer du temps; il commit toutefois l'imprudence de dévoiler les grandes lignes de sa politique dans une dépêche adressée, le 8 janvier 1797, à l'ablégat Albani. Cacault prévint Bonaparte que le document, non chiffré, serait confié au courrier de Venise.3 Le 12 janvier, la missive du cardinal tombait entre les mains des autorités françaises qui violaient ainsi la neutralité.

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1. Correpondance de Napoléon Ier, t. II
2. Baldassari, op. cit., p. 98 (texte de la depeche).
3. Pio fedifrago? dans La Civilta Cattolica, 1923, t. II.

Elle servit de prétexte au vainqueur de Rivoli pour incriminer le Saint-Siège et déclarer rompu l'armistice de Bologne auquel lui-même avait déjà formellement contrevenu1 (1er fevrier 1797).

L'attaque débuta le 2 février, sur les bords du Senio.

L'armée Ponticale, forte d'environ 3000 a 4000 hommes, s'était retrenchée "avec le plus grand soin" et "avec bordé de canons" les rives du cours d'eau dont tous les ponts avaient été coupés au préalable. Seuls, les artilleurs montrerent quelque courage; chargés à la baïonnette par la légion lombarde, que commandait Lahoz, ils moururent "tous" a leur poste de combat. Le reste des Pontificaux se débanda et n'essaya pas de défendre Faenza.2 "Toutes les villes et les gens, annonçait le chevalier d'Azara,3 viennent d'eux-mêmes présenter les clés et preter obéissance au vainqueur sans nulle part sonnerie de cloches ni levée en masse, comme on y comptait à Rome." Dès lors, la marche vers Ancône demeura facile. Cependant douze cents Pontificaux - 2.000 d'après d'Azara et 5.000 d'après Baldassari4 - "postés habilement sur des hauteurs en avant" de la ville barrent le passage. Encerclés par le général Victor, ils déposent les armes "à la seule sommation de l'avant-garde française"5 (8 février). Le commandant de la place d'Ancône renonce à résister et capitule.6 Au rapport de Colli "la troupe n'avait pas voulu lui obeir et avait tourné le dos: l'esprit général

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1. Correpondance de Napoléon Ier, t. II, n. 1434.
2. Baldassari, p. 102-103, et Correpondance de Napoléon Ier, t. II, p. 385-386.
3. Séché, t. I, p. 275 (dépêche du 18 février 1897). Voir aussi le memoires des cardinaux du 15 août 1799 sur le nullité du traité de Tolentino, dans
Il. Rinieri, Il congresso di Vienna e la Santa Sede, Rome, 1904.
4. L. Séché, Les origines du Concordat, t. I, p. 275 et Baldassari, p. 103.
5. Correpondance de Napoléon Ier, t. II, p. 409 et L. Séché, t. I, p. 275.
6. Baldassari, op. cit., p. 104-105.

était de ne pas vouloir se défendre et de se donner aux Français."1

Bonaparte eût pu exploiter ses faciles succès et derechef s'emparer de Rome, ainsi que le voulait le Directoire. Cela ne lui souriait pas. Il dépêcha à Rome le Père Fumé, général des Camaldules, qui invita, en son nom, le Saint-Père à mander des plénipotentiaires a son quartier afin de traiter. Au lieu de s'enfuir à Naples, comme il l'avait d'abord projeté, Pie VI sursit à son départ et délégua tous pouvoirs au Cardinal Mattei, au prélat Caleppi, au duc Braschi son neveu et au marquis Camille Massimi.2 L'accord s'opéra le 19 février 1797, à Tolentino, au grand mécontentement du Directoire. Dans une lettre destinée a Lazare Carnot, le commissaire Clarke justifiait ainsi la résolution prise par Bonaparte: "Le général en chef a parfaitement négocié avec les agents du Pape. J'étais present; nos affaires l'appellent dans le Frioul. Il fallait conclure, et il est très beau à lui d'avoir mis de côte la gloriole d'aller à Rome. S'il y eût été, nous eussions eu bien peu de chose; en n'y allant pas, cette négociation nous vaut trente millions, et dix des pays que nous occupons."3 De son côté, Bonaparte écrivait "Mon opinion est que Rome, une fois privée de Bologne, Ferrare, la Romagne et les trente millions que nous lui ôtons, ne peut plus exister; cette vieille machine se détraquera toute seule."4

Les clauses du traité de Tolentino etaient fort

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1. L. Séché, op. cit., t. I, p. 276.
2. Baldassari - voir une lettre adressée au Cardinal Mattei dans la Correspondance de Napoléon Ier (15 fevrier 1797).
3. L. Sciout, Rome, le Directoire et Bonaparte en l'an IV et l'an V (1796-1797)
4. Correspondance de Napoléon Ier, t. II, n. 1510, p. 442; sur le traité voir J. du Teil, op. cit., p. 460-484.

onéreuses.1 Outre la cession définitive de ses plus riches provinces italiennes et la perte du Comtat Venaissin et d'Avignon, le Saint-Siège se trouvait dans l'obligation de verser, dans des délais assez courts, une énorme contribution de guerre. Son intéret lui commandait de se libérer le plus rapidement possible de sa dette afin de provocquer l'evacuation de l'Ombrie, de Pérouse, de Camerino, de la province de Macerata, de Fano et du duché d'Urbino qu'occupaient, à titre de gages, les troupes françaises. Il n'y avait rien de bon à augurer du contact des sujets Pontificaux avec les vainqueurs qui se livraient à une active propagande révolutionnaire. Avec fierté Bonaparte notait le 24 mars - peut-être exagérait-il? - "Les villes d'Ancône, du duché d'Urbino, de la province de Macerata m'accablent de deputations pour me demander à ne pas retourner sous l'autorité Pontificale. La révolution gagne véritablement toutes les têtes en Italie."2

Il convenait de ne pas compromettre l'avenir. Aussi lingots d'or, argent monnayé, joyaux, diamants, perles fines dont se dépouillèrent le souverain Pontife, les cardinaux et les classes aisées, composèrent bientôt un apport suffisant pour acquitter l'indemnité de guerre.3 Le 3 juin 1797, Cacault, chargé de surveiller l'exécution du traité de Tolentino, constatait le paiement de 16.800.000 livres en argent comptant lingots et lettres de change et de 11.271.000 en diamants et bijoux, soit de la somme globale de 28.071.000 livres. Il estimait que les contributions levées sur le pays après la conclusion de la paix atteignaient le chiffre de quatre millions et fixait un million la bonification obtenue. Seize cents chevaux, bufles et "autre objets produits du territoire de l'Eglise" avaient été livrés.

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1. Voir Appendice II.
2. Correpondance de Napoléon Ier, t. II, n. 1629. 3. Baldassari, op. cit., p. 129.

Bref, d'après Cacault, le Saint-Siège avait loyalement rempli ses engagements.1 Haller, à vrai dire, n'avait pas admis le prix d'estimation des pierres précieuses accepté à Rome et, à Modene, un Juif à sa dévotion l'avait abaissé, sans controle, à trois millions2; il avait fallu se plier aux exigences de ce "corsaire" officiel.

Au lieu de reconnaître les bons procédés du gouvernement Romain, Bonaparte méditait de l'affaiblir par la perte de ses Etats. Le 7 avril 1797, parlant de la république qu'il projetait d'établir au centre de l'Italie, il prononçait ce verdict inquietant: "Elle s'agrandira à mesure que le Pape se détruira."3 Au mois de mai suivant, tablant sur la mauvaise santé de Pie VI, il revait de mêler l'Espagne aux affaires italiennes afin de contrecarrer les vues de l'Empereur de Autriche et du Roi de Naples qui "visaient évidemment à l'héritage du Pape." "Dans la position actuelle des choses, exposait Bonaparte au Directoire, je crois qu'il serait essentiel que le roi d'Espagne voulût bien envoyer quatre à cinq mille Espagnols à Parme, de sorte qu'aux moindres circonstances à Rome, je mêlerais ces Espagnols avec vos troupes; ce qui ne laisserait pas d'en imposer singulierement, et vous mettrait a même de placer le duc de Parme du côté de Rome, et de joindre Parme aux nouvelles republiques." Quant au port d'Ancône que convoitait ardemment la cour de Naples, Bonaparte entendait bien le conserver en dépit des demandes réitérées du marquis del Gallo, et cela "jusqu'à ce que les nouvelles affaires de Rome nous le donnent sans retour."4

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1. L. Sciout, art. cité, dans RQH t. XLI (1887), p. 489 et
A. De Montaiglon, Correpondance, t. XVII, no 9648.
2. Sciout, art. cité
3. Baldassari, op. cit., p. 127.
4. Correpondance de Napoléon Ier, t. III, n. 1828 et 1835, p. 86 et 94.

Le 29 septembre, croyant Pie VI à toute extrémité, il expédiait cet ordre extravagant à son frère Joseph, titulaire de l'ambassade romaine. "Si le Pape était mort, vous devez faire tout ce qu'il vous est possible pour qu'on n'en nomme pas un autre et qu'il y ait une révolution."1

La révolution! c'était l'espoir du Directoire. En effet, à la faveur de la création de la République Cisalpine, un état d'esprit nouveau avait apparu dans l'Italie septentrionale. Il s'y était formé un parti unitaire qui prétendait "démocratiser" Rome et le Royaume de Naples, c'est-à-dire renverser les gouvernements légitimes et établir une seule république italienne. Passant à l'action, les patriotes fomentèrent des troubles dans les Marches; ils y plantèrent des arbres de la liberté, obligèrent les fonctionnaires Pontificaux à déguerpir, établirent même une République Anconitaine. A Rome, une minorité de Jacobins, qui semble n'avoir pas caressé des rêves unitaires, professait un credo purement philosophique basé sur la haine de la Papauté et aboutissant à ourdir sa chute. C'est pourquoi elle se concerta volontiers avec les Cisalpins et organisa des émeutes que la police réprima facilement.

Le 28 décembre 1797, une mutinerie plus sérieuse que les autres prit soudainement de l'extension. Serrés de prés par les miliciens Pontificaux, les Jacobins se refugierent dans les jardins de l'ambassade de France, alors sise à la Lungara, au palais Corsini. Joseph Bonaparte accourt et s'évertue à calmer les émeutiers. L'adjudant général Duphot le seconde dans ses efforts. La bagarre augmente. Le poste, chargé de barrer l'accès de la porte Settimania, réplique aux coups de feu que tirent certains Jacobins. La fusillade

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1. Ibidem, t. III, n. 2266, p. 466

crépite et voici qu'une balle frappe mortellement Duphot. Les insurgés, pris de panique, se dispersent.1

§ 2. La Proclamation de la République à Rome
et l'exil de Pie VI.

La mort tragique de Duphot, suivie du départ de l'ambassadeur de France, mettait le Saint-Siège dans une fâcheuse posture. Nul douté que le Directoire songeât à exercer sa vengeance sur le Pape dont les excuses n'avaient pas été agréées.2 Pie VI se retourna vers le roi de Naples et implora sa médiation. Ferninand IV se répandit en protestations de dévouement et assura "qu'il garantirait de toutes ses forces tant sa personne sacrée que le peuple et le patrimoine sacré de Saint Pierre."3 Était-il sincère? Il y a lieu d'en douter, car il intriguait fort pour obtenir les provinces de Fermo et d'Ancône et, prévoyant la chute prochaine du gouvernement Pontifical, il aspirait à sa succession. Le Directoire n'ignorait point

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Bibliographie. - Sources: Voir l'introduction bibliographique, p. 22.
Travaux - A. G. Tomosi, Il prigioniero apostolico Pio VI nei ducati Parmensi (1-18 aprile 1799), Rome, 1806.
A. M. de Franclieu, Pie VI dans les prisons du Dauphiné, Montreuil-sur-Mer, 1802, 2 ed.
Les derniers jours de Pie VI, Valence, 1899.
P. de la Gorge, Les derniers de Pie VI, dans le Correspondant, 1921, t. CCLXXXII, p. 1075-1082. - La captivité et la mort de Pie VI par le général de Merck, commandant de la citadelle de Valence au moment de la détention du souverain Pontife, Loudres, 1814, (fiction politique).
H. Reynard, L'adjudant général de Merck, dans Revue Dauphinoise, t. III, (1901)
Pie VI a Valence, ibid., t. I (1808-1809).
V. Colome, Pie VI a Valence et le general Merck, dans Annales Dauphinoises, t.II (1901-1902) p. 73-83.

1. A. Dufourcq, Le régime jacobin en Italie, p.69-70 et
le rapport de Joseph Bonaparte inséré dans le recueil de Montaiglon, t. XVII, n. 9730.
2. A. de Montaiglon, op. cit., t. XVII, n. 9727 et 9728
3. Dufourcq, op. cit., p. 84.
4. Ibidem, p. 83 et Baldassari, op. cit., p. 167.

ses visées perfides; il se décide à devancer les Napolitains. Bonaparte écrivit, le 11 janvier 1798, au général Berthier: "L'intention du Directoire exécutif est que vous marchiez sur-le-champ sur Rome dans le plus grand secret... L'art consiste à gagner quelques marches de sorte que, lorsque le Roi de Naples s'apercevra que votre projet est d'arriver à Rome, il ne soit plus à temps de vous prèvenir... Les commissaires du gouvernement d'Ancône, avec ceux des villes de Pesaro, Sinigaglia, du duché d'Urbin et de toute la province de Macerata se réuniront entre eux pour organiser une république indépendante. Vous favoriserez ladite organisation sans y prendre une part ostensible... Si, comme le Directoire n'en doute pas, vous arrivez à Rome, vous emploierez toute votre influence a organiser la République Romaine, en évitant cependant tout ce que, ostensiblement, pourrait prouver le projet du gouvernement de former cette République."1

Fidèle à la consigne reçue, Berthier précipita la marche de 16.872 hommes vers Rome ou son avant-garde occupa le château Saint-Ange, le 10 février 1798. Le lendemain, le gros de ses forces pénétrait dans la ville.2

Bonaparte s'était flatté d' "inspirer l'epouvante" et de "faire fuir" le Pape.3 Des gens pusillanimes ou vendus à la France s'employerent près de lui en ce sens, mais Pie VI, conscient de ses devoirs, signifia sa volonté de rester a son poste. On avait aussi espéré que le peuple romain se soulèverait soit contre son souverain soit contre l'envahisseur;4 rien de tel ne se

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1. Correspondance de Napoléon Ier, t. III, n. 2404, p. 636-631.
2. Memoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 61-66, et Baldassari, p. 187-198.
3. Correspondance de Napoléon Ier, t. III, p. 629.
4. Baldassari, op. cit., p. 180-183.

produisit grâce à l'énergie déployée par Consalvi, alors assesseur de la Congrégation militaire.1 Bref, Berthier notait avec dépit dans sa correspondance: "Je n'ai trouvé dans ce pays que la plus profronde consternation et pas une lueur de l'esprit de liberté: un seul patriote est venu se présenter à moi."2

Il fallait pourtant executer les instructions émanées de Bonaparte et travailler à l'établissement d'une république. Puisque le peuple Romain se montrait hostile à toute nouveauté, Berthier avait pour dernière ressource de préparer le changement de régime par des sous-ordres qui agiraient sur les éléments de troubles existant dans la cité. Le 12 février 1798, les troupes Pontificales sont désarmées et leurs chefs mis en état d'arrestation,3 tandis que les soldats français se rassemblent sur les points pricipaux. Le 15, un groupe de Jacobins se réunit au forum: quatre a cinq cents personnes environ apposent leur signature au bas d'une proclamation où se lisent ces phrases significatives: "Le peuple romain ... Déclare qu'il se constitue en souverain libre et indépendant, rappelant à lui tout pouvoir législatif et exécutif qu'il exercera par le moyen de ses représentants légitimes selon les droits imprescriptibles de l'homme et les principes les mieux fondés de verité, de justice, de liberté et d'egalité; il déclare, en troisième lieu, qu'il veut que la religion soit sauve et que la dignité et l'autorité spirituelles du Pape subsistent intactes; il sa réserve de pourvoir convenablement à son entretien et à la garde de sa personne au moyen d'une garde nationale."4 Incontinent, on procède a l'election de sept consuls qui formeront un gouvernement

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1. Memoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 68
2. Cité par A. Dufourcq, op. cit., p. 100.
3. Memoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 60-71
4. A. Dufourcq, op. cit., p. 100.

provisoire, puis on pris Berthier de sanctioner les décisions populaires; ce à quoi le général l'empresse de consentir.

L'indigne comédie prit fin vers les deux heures de l'après-midi. A ce moment, le général Cervoni communiqua officiellement à Pie VI sa déchéance en tant que souverain temporel et lui garantit qu'on lui laisserait "sa cour comme par le passé et une maison militaire."1

Le 16 février 1798, le drapeau tricolore flotta sur le toit du Vatican et le Français monterent la garde a la porte du palais apostolique aux lieu et place des Suisses. La journée suivante fut absorbée par le désarmement et le licenciement de "tous les cuirrassiers, chevau-légers et gardes suisses" qui assuraient la sécurité au Pape, et on leur substitua une milice nationale. Ces nouveaux gardiens sont gens grossiers qui troublent la paix du Vatican par leurs "chansons licencieuses , paroles obscènes et blasphèmes horribles," se livrent à de copieuses libations et fument sans repit. On les avait tries à dessein afin de rondre le séjour du Vatican intolérable et de pousser le Pape à l'abandonner de lui-même. Vers le milieu de la matinée, Haller, trésorier général de l'armée français, parut escorté de ses acolytes, afin de perquisitioner et de poser les scellés per tous les objets précieux qui seraient découverts au Vatican. L'expertise s'achevait, quand Haller, s'approchant "sans façon de Pie VI et mettant le coude sur un guéridon qui se trouvait là," remontra "que le circonstances étaient tellement critiques, qu'elles semblaient exiger son départ de Rome.

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1. BALDASSARI, op. cit., p. 217

La République Romaine avait besoin du palais qu'il occupait de plus, le Pape lui-même courait risque d'être victime d'un mouvement populaire; l'expérience faissat voir que dans les commencements d'une révolution, et jusqu'à ce que le nouveau gouvenement fût bien affermi, on était exposé à des troubles et à des agitations violentes; on avait tout sujet de craindre qu'il en fût ainsi à Rome; le Pape devait donc, prenant en bonne part cet avertissement, pourvoir par un départ volontaire à sa propre sureté." Pie VI étant demeuré sourd à ces propos hypocrites, reçut, au déclin du jour, la visite du secrétaire d'Etat, Joseph Doria. Le cardinal avait eu la faiblesse d'accepter la mission d'apprendre au Saint-Père "l'intention formelle du commandant français et du nouveau gouvernement" qu'il s'éloignât de Rome; en cas de refus, on emploierait la force.1

Le 20 février, une heure environ avant le lever du jour, Pie VI prenait le chemin de l'exil. Aucun cardinal ne l'accompagnait. Ses oppresseurs ne lui avaientpermis d'emmener avec lui que le maitre de chambre Caracciolo, l'ex-Jésuite Marotti, un médecin et seize autres personnes. Quoique le frais de route lui incombassent - autre iniquité, - on ne le gratifia que d'une somme minime, onze à quinze mille écus romains.2

Le coche Pontifical déposa l'illustre voyager a Sienne, le 25 février 1798. Cruel fut l'embarras de grand-duc de Toscane qui tenait à rester on bons terms avec la France, de peur de perdre ses Etats. Le général Berthier, de passage à Florence, insista, le 1er mars, pour que Sa Sainteté se retirat a Malta ou en Portugal.3

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1. Baldassari, op. cit., p. 221-234
2. Ibid. p. 240-245.
3. L. Sciout, Pie VI, le Directoire et le grand-duc de Toscane, dans RQH, t. XL, (1886) p. 525.

Ecouter une pareille suggestion c'était vouer à une mort quasi certaine un vieillard de quatre-vingt-un ans,d'une santé très précaire. Plutôt que de porter la responsabilité d'une si odieuse action, Ferninand III conseilla à son hôte forcé de resider a Sienne provisoirement et se résigna à assumer le rôle peu glorieux de geôlier. Deux de ses gentilshommes, sous prétexte de rendre des honneurs au Pape, le surveillèrent en réalité étroitement.1

Vers le mileau du mois de mai 1798 le grand-duc subit un nouvel assaut de la part des Français. Des troubles ayant éclaté sur le territoire de la République Romaine, les commissaires du Directoire n'avaient pas manqué d'en rejeter la responsabilité sur Pie VI; ils insinuerent que le souverain Pontife résidait trop pres de la frontière Toscane; pourquoi ne pas le transférer à Livourne, ou un vaisseau le chargerait à son hord et le débarquerait à Cagliari, en Sardaigne? Ferninand III n'écouta pas ces conseils déshonorants il louvoya habilement, excipa de toutes sortes de raisons de convenance et finalement trnsporta son prisonnier à la chartreuse d'Ema, située à quelques kilometres de Florence, le 3 juin 1798.2

L'état de santé de Pie VI empira. Consalvi, qui le visita pas surprise, rapporte, dans ses Mémoires3 qu'il "avait à peu près perdu l'usage des jambes; et il ne pouvait marcher que soutenu par deux bras robustes." Quand le chef d'escadron Chipault vint dans les derniers jours du mois de janvier 1799, ou a la mi-février, presser l'importent de se joindre au roi et à la reine de Sardaigne qui, detrones, avaient été

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1. BALDASSARI, op. cit., p. 275-276.
2. E. CELANI, I preliminari del conclave di Venezia (1798-1900), dans ASRSP, t. XXXVI, (1913) p. 476;
SCIOUT, art. cité., p. 527-536, et BALDASSARI, op. cit., p. 284-290.
3. Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 93;
les renseignements fournis par Consalvi concordent avec ceux que Pie VI adressa au chevalier d'Azara dans la lettre émotionnante du 25 juillet 1798;
L. SCIOUT, art. cité, p. 542.

relégués à Cagliari, il le trouva au lit et quasi agonisant. Impossible, telle fut la réponse qu'il reçut. Au surplus, le médecin corse qui l'accompagnait augura mal du Pape et jugea que les soins les plus assidus ne prolongeraient guère ses jours au delà du printemps prochain.1

Les pronostics médicaux ne se réalisant pas, le Directoire mit le grand-duc de Toscane en demeure de transférer Pie VI en Sardaigne, sous peine de le deposseder de ses États. Cette fois, le Pape consentit à traverser la Méditerranée. Tout était prêt pour le départ, quand le ministre de France à Florence signifia contre-ordre. Apparemment, le Directoire craignit que le souverein Pontife tombât entre les mains des Anglais, maîtres de la mer; il se chargea lui-même de lui assigner un autre séjour, quand la Toscane eut passé en son pouvoir le 24 mars 1799. Le 28, à deux heures du matin, Pie VI quittait la chartreuse d'Ema.

Comme la paralysie avait gagné les membres inférieurs, il fallut que deux palefreniers le hisassent en voiture et le tirassent a eux, pendant que l'autres serviteurs le poussaient du dehors vers le dedans, manoeuvre penible qui dura une demi-heure et arracha au patient des soupirs et des gémissements.2 Le passage des Apennines fut particulierement fatigant: le vieillard ayant perdu toute force ne se soutenait sur son seant, et les prelats qui lui formaient vis-à-vis se virent contraints d'appuyer leurs mains sur sa poitrine afin de parer a une chute inevitable.3

On avait assure à Pie VI que Parme serait le terme de son voyage; ses persécuteurs ne tinrent pas parole, ou, du moins, la poussée en avant des armées Austro-Russes les engagea a le transporter au delà des Alps Cottiennes.

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1. SCIOUT, art. cité, p. 549-553, et BALDASSARI, op. cit., p. 367-374.
2. SCIOUT, art. cité, p. 536-588, et BALDASSARI, op. cit., p. 380-397.
3. BALDASSARI, op. cit., p. 299.

La traversée du col du mont Genèvre, s'affectua le 30 avril, par un froid piquant. Les hommes chargés de la chaise à porteurs, sur laquelle le Pape avait été placé, avançaient difficilement sur des dentiers étroits et rendus glissants par la niege.

Enfin! l'on arriva à Briançon. Pie VI logea au "premier étage d'une maison contigue à l'hôpital" inconfortable, obscure, exigue. Les fenêtres, démunies de volets, se composaient de châssis de toile. Les cheminées tiraient mal, le vent rebattait la pluie ou la neige sur le feu de l'âtre et emplissait les pièces de fumée. Le Pape resta jusqu'au 27 juin 1799 dans ce lieu incommode. Quoi de suprenant si sa santé périclitât? Il était presque agonisant quand le convoi atteignit Saint-Crespin; le 28, il délirait; le voyage ne continua pas moins sur les injonctions d'un commissaire inhumain; on fit étape à Embrun et à Savines (28-29 juin), à Gap (29 juin-2 juillet), à Corps (2 juillet), à la Mure (du 3 au 5 juillet), au château de Vizille (5 juillet), à Grenoble (du 6 au 10 juillet) où une amelioration passagère se déclara, à Tullins (10 juillet), à Saint-Marcellin (11 et 13 juillet), à Romans (13 juillet), à Valence (14 juillet).1 Un décret directorial, rendu le 22 juillet et ordonnant le transfert de Pie VI à Dijon, dut être rapporté le 18 août suivant2 l'état du malade s'était aggravé de telle façon à le rendre inutile. Le 29 août, vers une heure et demie du matin, la mort acheva son oeuvre.3

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1. BALDASSARI, op. cit., p. 412-522 et le rapport de l'officier gendarmerie de Valence, ibid., p. 609-640.
2. BALDASSARI, doc. 10 et 11, p. 610-611.
3. BALDASSARI, p. 536-545.

§ 3. Les destinées de la République Romaine
(15 fevrier 1798-13 novembre 1799).

Dès que Pie VI quitté Rome, quatre commissaires délégués par le Directoire, à savoir Monge, Daunou, Florent et Fraypoult, travaillerent, de concert avec les consuls provisoires, à régler l'organisation de la jeune République. Le 18 mars 1798, fut promulguée une constitution calquée sur celle de l'An III.1 Le pouvoir législatif appartint désormais au Tribunat et au Sénat; l'exécutif échut à cinq consuls dont le rôle consistait à promulguer les lois, à désigner des généraux, à nommer et à révoquer les ministres et les préfets. Ces derniers avaient la charge d'administrer les huit départements entre lesquels l'ancien Etat de l'Eglise se trouva réparti et qui prirent les denominations de Cimino, Tevere, Circeo, Clitumno, Trasimeno, Tronto, Musone et Metauro; ils veillaient au bon fonctionnement des bureaux centraux et des municipalités de leur ressort.

Le but réel, poursuivi par le Directoire, apparut dans toute sa crudité le 26 mars, quand la République

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Bibliographie - Sources:
A. Lodolini, La Repubblica Romana nel 1798, in una collezione di bandi, in RSRI, 1931.
Travaux. - CALVI
L. SCIOUT, Le Directoire et la République Romaine dans RQH, L. XXXIX (1886)
G. GARAVANI, Urbino e il suo territorio nel periodo francese 1797-1814, Urbino, 1907-1908
Il. RINIERI, Il generale Lahoz: il primo propugnatore dell' indipendenza italiana (anno 1799), dans Civilta Cattolica, 1904, t. II et t. III.
V. La MANTIA, Storia della legislazione italiana, t. I, Turin, 1884 (le chapitre XIII concerne la Republique Romaine).
A. DUFOURCQ, Le regime jacobin en Italie, Paris, 1900
E. CORTESI, Invasione francese nelle Romagne. Il triennio republicano a Ravenna (1796-1798) dans RSRI, 1921, p. 172-215.
G. Del ?Pinto, Albano nel 1798 dans RSRI, 1918, p. 274-296.

1. G. A. SALI, Diario romano degli anni 1798-1799, t. I, p. 107.

Romaine s'engagea à lui payer 15.337.500 livres à fournir des équipements militaires coûtant 3.067.500 livres, à assumer les frais d'occupation des troupes françaises, à abandonner la jouissance de biens domaniaux et de ceux qui relevaient de la Chambre Apostolique, soit une valeur de 5.512.000 livres.1

Cette exploitation des pays conquis s'imposait: le Directoire ne possédait pas un sol, soit pour acquitter l'arriéré de la solde de l'armée évalué à environ six millions, soit pour revitailler et l'equiper; il fallait pressurer les populations qu'on prétendait avoir libéré du despotisme et de la tyrannie. Pourtant Haller - de sinistre mémoire - avait réglementé le pillage systématique du Vatican et des églises romaines. Mobilier, reliquaires, ostensoirs, vases sacrés, argenterie, joyaux, pierres précieuses, diamants et riches ornaments devinrent la proie des forbans qu'il s'était associés. Ce qu'on n'emportait pas était cédé souvent a vil prix, a des Juifs. C'est ainsi que 30.000 volumes, distraits de la bibliothèque personnelle de Pie VI, passèrent entre les mains d'acheteurs fortuits. Quant? aux biens ecclésiastiques, la vente en fut poursuivie? avec activité. L'ordre signifié, le 13 mai 1798, aux novices et aux non-profès de rentrer, dans un délai de dix jours, dans leurs familles respectives et la suppression de l'obligation contractée par les religieux de? pratiquer le vie commune amenerent la fermeture, à Rome, de trente et un couvents.2 Plus de deux cents? etablissements monastiques, privés de leurs hôtes? habituels et frappés de confiscation, grossirent ainsi? le nombre des immeubles mis en vente dans l'éntendue? du territoire de la République.

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1. A. DUFORCQ, Le régime Jacobin en Italie
2. SALA, op. cit., t. I., p. 200.

La persécution ne se limita pas à Rome: encore qu'elle revêtit, hors de la ville, un caractère de moindre violence, elle s'exerça partout. Cela provoqua parmi les populations un extrême mécontentement qu'aggravaient les emprunts forcés, les procédés fiscaux introduits par les agents français, la répetition des réquisitions militaires, la rareté et la cherté des vivres, la depreciation du numeraire. Dans les parties montagneuses? du pays où la nature facilitait la résistance, des insurrections éclatèrent. Une sorte de guerre de religion désola Orvieto, le Trasimene, le Circeo. A Frosinone, un prêtre figura au premier rang des défenseurs des remparts, tenant d'une main un crucifix et de l'autre un sabre. Sans doute, des troupes régulières auront vite raison de gens mal armés et mal ou point du tout commandés, mais elles achèteront toujours cherement le succès inévitable et les représailles qu'elles exerceront exciteront encore davantage la haine du Français.1

En septembre 1798, les anciens sujets de Pie VI entrevirent l'espoir d'être libérés de l'oppression étrangère. Le 24 de ce mois, une division napolitaine avait frachi la frontière de la République Romaine: cedant aux sollicitations de l'Angleterre, Ferninand IV avait consenti "à provoquer le Directoire." Puisque l'Autriche s'entêtait à s'abstenir de tout acte belliqueux - Thugut disait à lord Eden: "Une bonne paix vant mieux qu'une guerre heureuse; et je suis prêt à la conclure pour les Légations"2 - on l'obligerait à sortir de l'inaction, car il était croyable que le Directoire riposterait à la démonstration napolitaine et attaquerait; dès lors, jouerait le traité d'alliance defensive conclu le 19 mai 1798 entre les cours

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1. DUFORCQ, op. cit., p. 203-275.
2. DUFORCQ, op. cit., p. 338.

de Naples et de Vienne et se dêchainerait une guerre europèenne.

Les calculs anglais se trouvèrent quelque temps en défaut. Au lieu de recourir aux armes, le Directoire usa de patience et proposa même à Ferninand IV de "retirer ses troupes toute en Lombardie, cédant à lui et à ses troupes toute la République Romaine, pour qu'il en disposat à son plaisir; car, n'ayant occupé cet État que, parce qu'il ne voulait pas qu'il fût au Pape, il le verrait sans jalousie passer au pouvour du roi."1 Cette offre captieuse, bien faite pour séduire Ferninand, fut écartée, sous la pression de l'Angleterre qui, changeant de tactique, le decida a prendre l'offensive. Les succès escomptés des Napolitains ne décideraient-ils pas l'Autriche à intervenir?

Le 23 novembre 1798 l'invasion du territoire de la République Romaine commença.2 A l'armée napolitaine nombreuse et commandée par le général autrichien Mack, Championnet n'avait à opposer que 13000 hommes environ, disséminés sur un vaste front. Dès que des estafettes lui ont signalé que l'ennemi, au lieu de chercher à lui couper toutes communications avec Ancône, commet la faute de précipiter sa marche vers Rome, il évacue celle-ci à partir du 25 novembre et bat en retraite, en direction de Terni où se fixe son quartier général. Le 27, l'armée royale penetrait dans la Ville Éternelle par la port Saint-Jean-de-Latran, tandis que les cloches annonçaient par leurs tintements joyeux l'heure de la déliverance. Le vice-gérant, Mgr. Passari, devient gouverneur et un? "bon gouvernement" s'établit. La population commente avec satisfaction la proclamation de Ferninand IV, qui effectue son entrée le 29 novembre:

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1. DUFORCQ, op. cit., p. 343.
2. DUFORCQ, op. cit., p. 345-374.

"Nous avons décidé de faire avancer notre armée royale dans l'État Romain jusqu'où besoin sera, avec la ferme volonté de raviver la religion Catholique, d'y faire cesser l'anarchie, les massacres et les déprédations, d'y ramener la paix et de le placer sous le gouvernement régulier de son légitime souverain."1

La joie dura peu a Rome. Des le 3 decembre, des fayards? napolitains la traversent et y jettent la panique: ils annoncent a grand fracas les victoires remportées par les maudits Français. Les nouvelles pessimistes affluant, Ferninand IV quitte la ville le 11 dècembre, non sans avoir pillè à son tour le Vatican2 et allégé les caisses du trésor public de quelque 100.000 écus.3 Le 13, la garnison napolitaine déguerpit et cède la place aux Français. Voilà les consuls reprenant leurs fonctions et édictant des mesures de représailles surtout contre les nobles et les ecclésiastiques. Livrés à eux-mêmes, ils ne savent rien réorganiser. La détresse fincière s'accroîlt en même temps que les vivres se raréfient et atteignent des prix fabuleux. C'est la misère générale. Partout le peuple crie famine; seule, la peur qu'inspirent les patriotes l'empêche de se révolter. Hors de Rome, l'autorité centrale n'est plus respectée; des bandes de paysans coureny sus aux Jacobins et tiennent en respect les troupes envoyées contre elles. L'insurrection gagne en peu de temps tous les points du territoire de le République Romaine.4

L'heure du dénouement final approchait. La conquête du royaume de Naples par la France - suite

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1. Collezione di carte pubbliche, t. III, p. 271; traduction A. DUFORCQ, op. cit.p. 380.
2. D. Silvagni, La corte e la Societa Romana nei secoli XVIII e XIX, p. 132.
A. De Montaiglon - Correspondance des directeurs de l'Academie de France à Rome, t. XVII, p. 293 n. 9861.
3. Duforcq, op. cit., p. 382.
4. Ibid.

naturelle de la campagne malheureuse du général Mack - avait décidé l'Autriche à pompre la paix. Le Directoire prévint l'attaque et prit l'offensive en mars 1799. Les revers éprouvés par les généraux français entrainèrent le rappel des troupes cantonnées dans le sud de l'Italie. Les 17, 18 et 19 mais trois divisions évacuèrent Rome où il ne subsista plus qu'une poignée de soldats, qui maintinrent péniblement le régime républicain jusqu'au 30 septembre, date de l'arrivée des Napolitains. A Ancône, la résistance héroïque qu'opposa aux coalisés le général Monnier, se prolongea jusqu'à ce que le assiégés réduits a un millier, ne possédant plus ni vivres ni poudre, eussent capitulé le 13 novembre 1799 et se fussent retirés, à petites jourbées, sur la rivière de Gènes.1

La situation des Etats de l'Église ne s'améliora guère: les Légations et le territoire sis entre Pesaro et Rome passèrent sous l'autorité autrichienne, tandis que le pays compris entre Rome incluse jusqu'à Termini demeura soumis aux Napolitains.

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1. E. Castaldo, L'assedio d'Ancona del 1799, manuscritto di L. Perozzi, dans AMM, serie III, t. I (1916), p. 135-163, et t. II (1916-1917), p. 160-196.

Chapitre II

LES TRIBULATIONS DE PIE VII

§ 1. Le Conclave de Venise
(30 novembre 1799 - 14 mars 1800)
.

L'interruption des troupes françaises dans les États Pontificaux au mois de janvier 1798 avait provoqué

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Bibliographie - Sources:
P. BALDASSARI, Relazione delle adversita e patimenti del glorioso Papa Pio VI,, Modene, 1840-1843, t. II.
Mémoires du Cardinal Consalvi, ed. J. Cretineau-Joly, Paris, 1806. 3 vol.?
(la publication des lettres du cardinal Herzan corrobore le récit de Consalvi).
CH. VAN DUERM, Un peu plus de lumière sur le conclave de Venise et sur les commencements du Pontificat de Pie VII, Louvain, 1806
(l'auteur a publié la correspondance du cardinal Herzan).

Correspondance diplomatique et mémoires inédits du Cardinal Maury, ed. Mgr. Ricard, Lille, 1891, t. I, p. 183-387.
(Maury a été l'un des promoteurs de la candidature de Chiaramonti).
G. Moroni, Dizionario di erudizione storico-ecclesiastica, Venise, 1852 t. LIII, p. 118.
(a suivi le récit du maitre des cérémonies Gregorio Speroni insere dans le Vaticanus 9895).
A. Lumbroso, Ricordi e documenti sul conclave di Venezia, Rome, 1903.
E. Celani, I preliminari del conclave di Venezia, (1798-1800) dans ASRSP, t. XXVI, (1913) p.475-548
(publié des lettres de Pie VI relatives au futur conclave et des extraits de la correspondance inédite de Consalvi).

J. Gendry, Pie VI, Sa vie, son Pontificat (1717-1799), Paris, 1905
De Clercq, Recueil des traités de la France, Paris 1864, t. I.
C. L. de Rossi, Memorie interno alla vita del Card. Lorenzo Caleppi, Rome, 1843, (livre I, chap. IV).
D. Silvagni, La corte e la societa Romana nei secoli, XVIII e XIX, Florence, 1884, t. I.
Is. Carini, Elezione e retorno de Pio VII a Roma, dans Il Muratori, 1892, fasc. 2.

Travaux - R. CESSI, L'Austria al conclave di Venezia del 1800, dans Il Risorgimento Italiano, n. serie, t. XV (1922)
(a utilisé les notes du consul sarde de Venise et la correspondance déjà connue d'Herzan pour accuser d'inexactitudes les mémoires de Consalvi et? attaquer le bon renom de Chiaramonti; voir la réfutation inséré dans la La Civilta Cattolica, 1923, t. III, p. 290-297.

le départ d'une dizaine de cardinaux qui avaient gagné Naples, la Toscane ou le Bolonais. Parmi les treize autres qui n'avaient point encore quitté Rome le 8 mars, deux, Vincent Marie Altieri et Thomas Antici, cédant à la crainte que leur inspiraient les Républicains, avaient lâchement renoncé à la pourpre,1 tandis que Antonelli, Doria, Borgia, Roverella della Somaglia, Carandini avaient été incarcérés au couvent des Converties situé au Corso et que Gerdil, Archinto, Livizzani, Rezzonico et Valinti, laisses en liberté, s'étaient retirés dans diverses villes italiennes. Après avoir vainement essayé d'arracher leur démission aux six prisonniers, les autorités militaires les acheminerent vers Cività Vecchia. Là, on leur donna lecture d'un décret du Directoire qui les bannissait du territoire de la République Romaine et les menaçait de la peine capitale s'ils tentaient d'y pénétrer. Voilà pourquoi, le 28 mars 1798, les cardinaux prirent la mer; après avoir essuyé une affreuse tempête la plupart abordèrent à Porto Ercole, d'où ils allerent où bon leur plut.2

La dispersion anormale des membres du Sacré Collège préoccupa vivement les souverains catholiques au sujet du lieu éventuel où se tiendrait prochain conclave.Ferninand IV désirait qu'il se

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Artaud de Montor, Histoire du Pape Pie VII, Paris, 1836, 2 vol. (récit inexact).
A. Mater, La République au conclave et l'alliance avec Rome en regime de séparation. Le conclave de Venise, 1794-1799-1800, Paris, 1923
C. MEAUX, Les négociations de Consalvi, dans le Correspondant, nov. 1864 p. 527-563.
G. CAPPELLO, Il conclave di Venezia, dans la Rassegna nazionale, 16 aout 1900, p. 27.

1. Pie VI les exclut solennellement du Sacré Collège par deux brefs expédiés le 7 septembre 1797;
BALDASSARI, adaptation l'abbé de? Lacouture; p. 581-582.
CELANI, art. cité, p. 483, 488.
BALDASSARI, p. 296-315, et CONSALVI, Mémoires, t. II, p. 74-75.

réunit dans sa capitale. Il "voulet en outre, assure Consalvi,1 que le Pape futur résidât à Naples," afin de "trouver en lui un défenseur naturel pour l'État et le pays" et de profiter de sa présence "pour enflammer les peuples et même pour susciter une guerre de religion dans les cas d'une invasion française." Aussi "empêchait-il" les cardinaux réfugiérs à Naples d'en sortir et cherchait-il "à y attirer tous ceux qui vivaient réfugiés dans la Venetie."

Instruit des intrigues nouées par Fernnand IV et des tentatives faites par le roi d'Espagne pour amener le Pape Pie VI à se transférer dans son royaume, l'empereur l'Autriche intervint: il émit le voeu formel que tous les membres du Sacré Collège, sans excepter ceux qui résidaient en terre napolitain, se concentrassent en Vénétie, province qu'il detenait en vertu du traité de Campo Formio2 (17 octobre 1797), et promit de leur laisser la plus entière liberté d'action en cas d'élection Pontificale. Pie VI communiqua cette nouvelle aux intérésses et leur signifia que les offres impériales avaient son agrément. Néan-moins le cardinal-doyen Albani ainsi que neuf de ses collègues crurent devoir ne point quitter Naples où ils s'estimaient en plus complète securité. Ils protestèrent toutefois de la purité de leurs intentions et nièrent avoir jamais songé à célébrer un conclave schismatique, comme l'avait insinué l'Autriche (3 novembre 1798). Le cours des événements changea bientôt leur manière de voir et l'invasion du royaume de Naples par les soldats du général Championnet les obligea, apres diverges péripéties, à gagner

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1. CONSALVI, Mémoires, t. II, p. 90.
2. Voir DE CLERCQ, Recueil des traités de la France, t.I
L'article VIII du traité reconnaissait la République Cisalpine qui -?unglobait "les trois légations de Bologne, Ferrare et la Romagne."

la Vénétie.1 Ce fut done de Venise que, vers la fin du mois de septembre 1799, le doyen du Sacré Collège avisa les cardinuax de la mort de Pie VI et les convia à se réunir dans cette ville.2

Trente-quatre éminences répondirent à l'appel et entrèrent en conclave le 30 novembre 1799, dans les murs du monastère Bénédictin établi sur l'îlot pittoresque de Saint-Georges. Onze avaient décliné l'invitation qui leur était parvenue, sous prétexte de maladie ou de vieillesse.3

Les électeurs4 s'abstinrent de procéder immediatement à l'élection Pontificale. Ils marquèrent leur deéférence a l'égard de l'Empereur d'Autriche en attendant l'arrivée du cardinal Herzan, son représentant qualifié. Ce personnage détenait des instructions précises: il fallait promouvoir la candidature du cardinal Mattei et la faire triompher. La cour impériale visait à garder la possession des trois Légations récemment conquises par les Français et prétendait maintenir intacte la cession définitive imposée au Saint-Siège par le traité de Tolentino et en obtenir la confirmation du Pape futur; ce à quoi condescendrait volontiers, imaginait-elle, son favori Mattei, négociateur dudit traité. Quand il apparut que le cardinal Bellisomi recueillerait les suffrages unanimes de ses collègues, Herzan combattit un tel choix. Ses intrigues amenèrent la formation de deux partis, l'un tenant pour Bellisomi, l'autre, le moins compact, pour Mattei. La ténacité des deux factions rendit toute élection impossible; finalement, après trois mois et demi de pourparlers épineux, les votes cardinalices se concentrèrent sur la personne de l'évêque d'Imola, Barnabé Chiaramonti, qui prit le nom de Pie VII (14 mars 1800).

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1. BALDASSARI, p. 330-336
2. CONSALVI, Mémoires, t. I, p. 201.
3. Ibid., p. 216.
4. Sur le conclave nous avons surtout suivi CONSALVI, Mémoires, t. I., p. 217-268.

§ 2. - La première Restauration du Pouvoir Temporel.

Les prétensions de la cour de Vienne se découvrirent ouvertement à l'occasion du couronnement du nouvel élu (21 mars). Quoique la cérémonie, conformément à une ancienne coutume qui la plaçait dans l'église pricipale de la ville où avait eu lieu l'élection, eût dû se célébre à Saint-Mare, les autorités autrichiennes s'opposèrent à ce qu'il en fût ainsi.1 On eût désiré qu'elle ne s'effectuât point de tout, puisqu'elle implicait "la manifestation du pouvoir temporel." Pie VII déjoua ces calculs egoistes et substitua à Saint-Mare l'église du monastère de Saint-Georges. Bien plus, il réclama la restitution de ses Etats!

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Bibliographie - Sources:
Boulay de la Meurthe, Documents sur les négociations du Concordat et sur les autres rapports de la France avec le Saint-Siège en 1800 et 1801, Paris, 1886-1897, 6 vol. (contient en particulier la correspondance echangée entre Thugut et Ghislieri, ainsi que des lettres de Consalvi a Spina).
Correspondance de Napoléon Ier, Paris, 1855-1870, t. VI.
Lettres et documents pour servir à l'histoire de Joachim Murat,1767-1815publies par S. A. le Prince Murat, Paris 1909-1914, tomes I et II
L. Neumann, Receuil des traités et conventions conclus par l'Autriche avec les puissances étrangères depuis 1763 jusqu'a nos jours, Leipzig, 1855, t. I.

Travaux - J. E. Driault, Études Napoléoniennes. Napoléon en Italie (1800-1812), Paris, 1906
Le industrie, il commercio, le imposte sotto i Pontefici Pio VI e VII sino al 1815, dans Civilta Cattolica, 1906, t. IV
L'agricoltura e la campagna Romana sino a tutto il Pontificato di Pio VII, ibid., 1906, t. IV
V. La Mantia, Storia della legislazione italiana, t. I, Turin, 1884 (voir le chapitre XIII).
Boulay de la Meurthe, Histoire de la négociation du Concordat de 1801, Tours, 1920;
Histoire du Rétablissement du Culte en France, 1802-1805, Tours, 1925.

1. E. CELANI, I preliminari del conclave di Venezia, dans ASRSP, t. XXVI, (1913), p. 517.

Loin d'accéder à son désir, l'Empereur et son ministre Thugut observèrent une prudente réserve. Herzan recut meme l'ordre d'inviter le Pape à serendre à Vienne; il vanta les avantages possible qui découleraient d'un tel voyage et exalta la puissance de son maitre, en un moment où l'Autriche triomphait des Français; vainement, d'ailleurs car Pie VII avait deviné qu'on lui dressait quelque traquenard; à Vienne, n'essaierait-on pas de peser sur sa volonté afin qu'il "signât librement une confirmation de la cession [des trois Légations] que son prédecésseur avait acceptée par force majeure?"1 Il annonça au contraire, son intention formelle de se rendre à Rome au plus tôt. Mais la réalisation d'un aussi louable dessein demeurait subordonnée au bon plaisir de l'Empereur d'Autriche et du roi de Naples. "Il Papa, écrivait mélancoliquement Consalvi,2 non è padrone di muoversi."

Vers le 19 avril 1800, Ferninand IV fit savoir qu'il restiteurait les domaines Pontificaux que ses armeées occupaient; il invitait même le Pape a hâter sa venue.3 Était-ce générosité de sa part? Nullement: lors de la seconde occupation de Rome, la reine avait exposé les plans secrets de son époux: "Il est assez fort pour s'assurer les Etats de Rome et devenir roi d'Italie!"4

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1. Consalvi, Mémoires, t. I, p. 270-279.
2. Celani, art. cité, p. 515.
3. Ibid.
4. Dépéche citée par J. E. Driault, Napoléon en Italie (1800-1809), Paris, 1906, p. 40.

A présent, il lui fallait rabattre de ses visées trop ambitieuses: l'Empereur d'Autriche, il ne l'ignorant pas, cédant lui aussi à la mégalomanie de Thugut, méditait de placer l'Italie tout entière sous sa domination. Il importait donc à Ferninand IV de favoriser le rétablissement, entre son royaume - et les possessions autrichiennes, d'un Etat tampon dont la destruction créerait religieux.1. D'ailleurs, 12 mai, l'arrivée inopinée à Venise d'un envoye extraordinaire de l'Empereur modifait la situation.2 Le marquis Ghislieri vint promettre de restituer les Etats de l'Eglise, depuis Pesaro jusqu'a Rome, "contre une renonciation du Pape à ses droits sur les trois Légations perdues au Traité de Tolentino et occupées maintenant par la maison d'Autriche."3 Constatant que ses propositions se heurtaient à une fin de non-recevoir obstinée, le marquis changea de tactique et se laissa aller jusqu'a proferer des menaces; puis, quand il eut éprové l'intuité de ce procédé disgracieux, il s'apaisa et "offrit la restitution d'une des trois Légations, la Romagne, à l'exeption d'une petite partie avoisinant la Mesola et le Ferrarais; mais le Pape devait confirmer la cession des deux autres légations de Bologne et de Ferrare."4

Pie VII opposa, cette fois encore, un refus catégorique et n'en réclama que plus vigoureusement son bien. Exaspéré des résistances qu'il rencontrait dans l'accomplissement d'une tàche tenue par lui pour sacrée, il apostropha Ghislieri en ces termes: "L'Empereur met dans sa garde-robe des habits qui non seulement se corroderont bientôt, mais encore qui communiqueront un ver rongeur à ses propres vêtements."5 Bien résolu à sauvegarder les droits de l'Eglise Romaine, il publia une protestation contre ses injustes agresseurs.

Thugut, qui s'était évertué à retenir Pie VII à

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1. Consalvi, Mémoires, t. II, p. 272-273.
2. Celani, art. cité, p. 517.
3. Consalvi, Mémoires, t. I, p. 279-281, et t.II, p. 233-236.
4. Ibidem, t.I, p. 284, et t.II, p. 236.
5. Ibidem, t. II, les paroles du Souverain Pontife sont reportèes de façon un peu differente au t. I, p. 283.

Venise,1 se résigna à l'inévitable. Consalvi annonçait, le 24 mai 1800, son prochain départ pour Rome.2 déchargea sa bile en infligeant au Pape un dernier affront; après lui avoir interdit le trajet à travers le territoire des Légations, de peur que les populations le saluassent comme leur souverain, il l'obligea à s'embarquer à bord d'un mauvaise frégate, la Bellone, qui, faute d'un équipage compétent, mit douze jours pour atteindre Pesaro.3

Accueilli avec enthousiasme par ses sujets, Pie VII eut la consolation et la surprise d'apprendre, de la bouche même du marquis Ghislieri, qu'on lui restituait ses Etats partiellement, c'est-à-dire depuis Pesaro jusqu'à Rome (25 juin 1800). En cela, le plénipotentiaire autrichien agissait de son propre chef, sous la pression des événements. Le 3 juillet 1800, il mandait à Thugut une dépêche qui justifiait sa conduite:

"La cession faite à Rome du gouvernement civil par les Napolitains, qui ont ôté par la tout prétexte au Pape de différer son retour qu'il leur avait promis, la crainte que l'évacuation de Bologne par les troupes autrichiennes inspire une invasion des Français dans la Romagne, et surtout l'incertitude dans laquelle me jettent l'armistice [celui d'Alexandrie conclu le 15 juin],4 déjà connu officiellement, et le rappel des troupes des environs de Rome jusqu'aux environs d'Ancône, m'ont mis dans l'impossibilité de pousser le Pape à la détermination

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1. Celani, art. cité, p. 517. 2. Ibid., p. 518. 3. Le départ eut lieu le 6juin
(Boulay de la Meurthe, Documents sur les négociations du Concordat, t. I).
"Si giunse ieri dopo dodici giorni di embarcazione," écrivait Consalvi le 18 juin 1800.
Celani, art. cité, p. 518 et Consalvi, Mémoires, t. I, p. 284-287 et t. II, p. 237-239.
4. Voir le texte de cet armistice dans la Correspondance de Napoléon Ier, t. VI, n. 4910
et celui de l'article additionel du 17 juin, ibid., n. 4911.

d'attendre l'évacuation de Rome par les troupes napolitaines avant d'y entrer."1

La fermeté que Pie VII avait deployée dans la défense de ses droits territoriaux recevait une digne récompense, quelqu'imparfaite qu'elle fût, puisque l'Autriche continuait à garder les toir Légations et à occuper militairement les contrées restituées. Ce nonobstant, le Souverain Pontife entra dans Rome, le soir du 3 juillet 1800, au milieu des acclamations de son peuple,2 las des Napolitains.

Les revers successifs que subirent les armées impériales apres le désastre de Marengo (14 juin 1800) - la prédiction de Pie VII s'accomplissait - aboutirent pour elles à la perte presque totale des trois Légations. Les Français, exploitant leurs succès, pour-suivirent leur marche triomphante en avant et pénétrèrent, le 20 juillet, à Pesaro malgré les protestations de Mgr. Vidoni, gouverneur d'Ancône, et du cardinal Consalvi.3 Tout espoir de réoccuper la ville sembla s'évanouir, lorsque Mélas et Masséna eurent signé la convention de Vérone (31 juillet 1800). L'article IV portait: "La ligne de démarcation entre les deux armées, du côté de l'Italie méridionale, commencera à la mer entre Pesaro et Fano; elle passera par le territoire de la République de Saint-Marin et s'étendra de la jusqu'aux frontières de la Toscane, en suivant les frontières du duché d'Urbin.4

Cependant Bonaparte, jugeant l'accord trop désavantageux, désavoua Masséna5 et entama avec l'Autriche des négociations qui se terminerent par le traité de Luneville (9 fevrier 1801); les trois Légations,

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1. Boulay De La Meurthe, op. cit., t. I, n.11, p. 18.
2. Consalvi, Mémoires, t. I, p. 288-289 et t. II, p. 239-241.
3. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. I, p. 41, 49-51. 4. L. Neumann, Recueil des traités, t. I, p. 614-616.
5. Correspondance de Napoléon Ier, t. VI, n. 5060 (12 aout 1800).

changeant de maitre, échurent provisoirement à la France.1

Loin d'atterrer la cour de Naples, la nouvelle de l'infortune autrichienne fortifia en elle la volonté de maintenir à Rome des troupes, sous prétexte d'assurer le service et la défense du Pape.2 Bien plus, répondant à l'appel du maréchel autrichien de Bellegarde, le général de Damas prit l'offensive et envahit la Toscane. Le 6 janvier 1801, ses forces entraient à Sienne et obligeaient sans gloire la garnison française, réduite à quelque cent hommes, à capituler, le 9. La prompte arrivée des troupes commandées par Miollis les contraignit à se replier sur Acquapendente,3 où un nouveau danger les attendait. Le 17 janvier, Bonaparte avait transmis l'ordre au chef de l'armée d'Italie d'entrer à Ancône: "Une fois maître d'Ancône, soit par la force, soit en vertu de l'armistice, le général Murat fera connaître par un courrier au général napolitain que, s'il n'évacue pas sur-le-champ tout le territoire romain et spécialement le chateau Saint-Ange, il se portera sur-le-champ avec son corps d'armée sur la frontière... Il fera connaître au Pape que l'intention du gouvernement français est qu'il soit maÎtre dans ses Etats et que les Napolitains se tiennent religieusement dans leurs limites."4

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1. De Clercq, Recueil des traités de la France, t. I, p. 424.
Dans la suite, les trois Légations furent attribuées a la République Cisalpine.
2. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. I, p. 46
3. Ibidem, t. I, p. 243, 249, 321, 327, 330, 336, 338, 358, 359.
4. Correspondance de Napoléon Ier, t. VI, n. 5302.

Le général de Damas, qui n'avait qu'une médiocre confiance dans la solidité de ses milices, se résigna à proposer, le 5 février 1801, un armistice dont une clause ménageait fort les intérêts temporels du Saint-Siège: "L'armée napolitaine évacua l'Etat Romain sur tous les points, se retirant aux frontières du royaume; et, à l'exception d'Ancône, les Français n'occuperont aucune partie du territoire ecclésiastique qui restera comme barrière entre les puissances contractantes."1

L'armistice, conclu à Foligno le 18 février, comporta des conditions bien différentes. "L'armée napolitaine, contint l'article II, évacuera les Etats de l'Eglise, et commencera son mouvement à dater du jour de la signature de l'armistice; il devra être terminé au plus tard six jours après."2 Le 21, le marquis Ghislieri constatait que le corps d'occupation avait totalement abandonné Rome dans la matinée.3 Le traité de Florence,4 passé peu après, le 28 mars, entre le royaume de Naples et la France, acheva de libérer le Saint-Siège des Napolitains, de même que celui de Luneville avait, au mois de février précédent, jugulé les convoitises des Autrichiens sur les trois Légations. C'était là un avantage appréciable, quoique la presence des Français laissât l'avenir passablement incertain.

Le vainqueur se montra dès l'abord accommodant. Dans les villes où il établit ses cantonnements les gouverneurs Pontificaux exercèrent sans la moindre entrave leurs fonctions. La discipline des troupes était parfaite.5 Murat laissa entendre qu'une entente serait facile: qu'on lui versat 100.000 écus, il prometirait verbalement de retirer son armée des Etats de l'Eglise, sauf d'Ancône et des alentours de la ville. L'indemnité, réduite à 70.000 écus, fut finalement

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1. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. I, p. 393
2. Ibid., t. II, p. 19
3. Ibid., t. II, p. 18
4. De Clercq, Recueil des Traités de la France, t. I, p. 434.
5. "Tutti i governatori sono liberissimi nell esercizio del loro impiego. CII editi del generali francesi sono tutti rispetiosissimi verso la Sua Santita e la disciplina delle truppe e esatissima. In somma in questo genere nulla si puo desiderare di piu";
lettre de Consalvi à Spina, du 21 février 1801, dans Boulay de la Meurthe, op. cit., p. 20.

aretée au chiffre de 73.000 piastres. Pie VII y joignit le don magnifique d'une Sainte Famille de Raphaël peinte sur bois. Des camées parvinrent aussi a l'adresse de certains officiers.1

Murat avait affirmé que l'évacuation s'accomplirait vers le 5 ou le 6 mars 1801. Il sembla ne plus se souvenir de ses engagements. Le cardinal Consalvi se vit dans l'obligation de lui rappeler que le Saint-Siège avait tenu les siens (4 et 5 mai), tout en le comblant de propos flatteurs et en multipliant les paroles amicales. Le retard dont il se plaignait à mots discrets ne provenait pas, semble-t-il, de Murat mais de la République Cisalpine qui avait provoqué la prise de possession par le général Debelle du fort Saint-Léon et du district de Montefeltro et qui désirait, d'autre part, Pesaro. En juin et septembre 1801, des ordres formels, parvenus de Paris, aiderent le Saint-Siège à rentrer en possession de son bien.2

La restitution de Ponte Corvo et du Bénévent fut bien plus épineuse à obtenir. Loin, d'y songer, la cour de Naples qui les avait usurpés en avril 1800, persevérait dans l'intention de les conserver. N'avait-elle? pas osé déclarer, par un édit publié le 17 octobre 1800, qu'elle possédait le domaine éminent et qu'elle "rendrait seulement au Pape le domaine utile?" Renversant les rôles, elle affectait de tenir le Saint-Siège pour son feudataire! Rome protesta; mais, en dépit(?) de tout, les Napolitains avaient à Ponte Corvo et Bénévent un préside militaire, y avaient exercé la juridiction civile et introduit des innovations, comme la suppression du droit d'asile et la levée de recrues au profit des armées royales. Le Premier Consul intervint

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1. BOULAY de la Meurthe, ibidem, t. II, p. 21, 30 et 40, et
Lettres et documents pour servir à l'histoire de Joachim Murat, t. I, n. 432-433
2. Lettres et Documents, t. I et t. II, n. 736 et 738.

pour faire cesser ces abus dont, quant au dernier, il coyait pâtir lui-même.1 Talleyrand avertissait, au mois de février 1801, Murat d'avoir à exiger l'évacuation du Bénévent dans le cas où un armistice serait signé avec les Napolitains.2 Mais le général ne tint pas compte de cette recommandation, sur les instances de Mgr Caleppi qui craignit de froisser la Russie, car Italinsky avait pris en main les intérêts du Saint-Siège.3 Le ministre russe n'ayant rien obtenu, Bonaparte insista à son tour le 30 mai 1802. "Il est nécessaire, écrivait-il, que le roi de Naples laisse jouir le Pape de l'intégrité de ses Etats..., il est juste que Bénévent et Ponte Corvo continuent d'être mis sur le même pied."4 Le ministre napolitain Acton obéit aux injonctions que lui présenta l'ambassadeur de France: au mois de juin 1802, il retira le préside militaire incriminé, "sans en informer Sa Sainteté, sans aucun acte indiquant qu'on renonçait aux premieres prétentions et en laissant subsister l'édit du 17 octobre [1800] et tous les actes successifs."5 Au fond, ainsi que Cacault le faisait remarquer, la cour de Naples gardait l'espoir de rétablir, un jour, une institution qu'elle supprimait apparemment, puisqu'au préside elle substitua un capitaine chargé de réclamer les déserteurs. Passant outre, le Premier Consul dicta cette note le 26 juin 1802: "Faire connaitre? au Pape que les Napolitains ayant évacué, il faut qu'il fasse occuper le plus tôt possible ces deux pays,? et que le roi de Naples ne dira rien, que cette

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1. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. I, p. 217 et t. II, p. 22; voir aussi
Artaud De Montor, Histoire du Pape Pie VII, Paris, 1836, t. I p. 300, (dépêche de Cacault).
2. Corresponance de Napoléon Ier t. VII, n. 5333
3. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. II, p. 157.
4. Corresponance de Napoléon Ier t. VII, n. 6103
5. Dépéche de Cacault, citée par Artaud de Montor, op. cit., t. I, p. 300.

affaire est finie." Hélas! rien n'était terminé, et Naples conserva, malgré les déeégations du Saint-Siège, ses prétensions à l'égard du domaine éminent.

A l'heure même où Bonaparte montrait un zéle singulier à faire rendre gorge aux Napolitains et à soutenir la thèse de lintégrité des États Pontificaux, il pratiquait exactement la doctrine contraire.

Quand le prélat Spina, chargé de négocier un Concordat, puis le Cardinal Consalvi lui présemtèrent des motions discrètes tendant à la restitution des trois Légations, il détourna chaque fois habilement la conversation ou articula des propos obscurs. S'il laissa l'affaire pendante, ce ne fut vraisemblablement qu'à seules fins de ne pas entraver les négociations préliminaires du Concordat qu'il tenait à conclue ou de lier le Saint-Père à sa politique ou encore de le plier à ses volentés. Sa ligne de conduite ne varia jamais: la renonciation stipulée dans le traité de Tolentino, en 1797, demeurait intangible. Quand, après la cérémonie du sacre, Pie VII voulut le forcer à se prononcer nettement en lui remettant, le 21 février 1805, à la Malmaison, un mémoire qui concluait à la restitution intégral de ses États, il reçut une réponse officielle destinée à lui enlever toute illusion.En termes courtois, mais très fermes, Talleyrand s'exprimait ainsi, le 11 mars: "Il n'est pas au pouvoir de l'Empereur de rien retrancher à un Empire qui est le prix de dix années de guerres sanglantes soutenues avec un admirable courage, et des plus malheureuses agitations éprouvées avec une constance sans égale.

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1. Correspondence de Napoléon 1er, t. VII, n. 6139.
2. Dépêche de Cacault, citée par Artaud de Montor, op. cit., t. 1, p. 301.
3. BOULAY DE LA MEURTHE, Histoire de la négociation du Concordat, p. 92-98, 151-156, 249, 254, 298, 399. et
Histoire du rétablissement du Culte en France, p. 26, 64, 120, 360.
4. Publié par ARTAUD DE MONTOR, op. cit., t. II, p. 34-36.

Il lui est moins permis encore de diminuer le territoire d'un Etat étranger qui, en lui confiant le soin de le gouverner, lui a imposé le devoir de le protéger, et n'a pas donné le droit de diminuer le territoire qu'il possédait quand l'Empereur s'est chargé de ses destinées. "Nous espérons, ajouta Napoléon Ier en guise de consolation, trouver des circonstances où il nous sera permis de consolider et d'étendre le domaine du Saint-Père"; paroles trompeuses que contredira expressément, plus tard, le sénatus-consulte du 17 fevrier 1810. 2

La situation des Êtats rendus au Saint-Siège apparait lamentable en 1800 et 1801. Consalvi la dépeint crûment dans diverses dépêches adressées au prélat Spina. Il parait écrire sous l'empire du désespoir. "C'est le désordre général ... Tout est désolation et ruine ... Ne disposant pas de la force publique, on ne peut pas recouvrer les impôts. Ce ne sont que vols, assissinats, délits de tout genre." Les réquisitions multipliées des troupes napolitaines et françaises ont épuisé les ressources du pays. Les vivres manquent. C'est la famine à brève échéance. Le général Berthier ne sait comment nourrir sa cavalerie. Les fournisseurs de l'armée, non payés, refusent de livrer quoi que ce soit. Le trésor Pontifical, grevé par l'entretien des troupes d'occupation, reste à sec, puisque, d'autre part, la rentrée des impôts ne s'effectu pas. D'ailleurs, les sujets pontificaux sont " tout à fait épuisés." Sa Sainteté n'a plus "le sou" Je ne puis vous dissimuler, écrit Consalvi à Murat, qui réclame des avances d'argent, que les domestiques intimes du Pape, les salaires publics, les commis, les juges, les magistrats ne sont pas payés; le Pape même n'a de quoi vivre.

Au secrétaire d'Êtat font écho les réflexions des diplomates étrangers. Le 1er mars 1801, le marquis Ghislieri, agent de l'Autriche, constate que "l'État ecclesiastique présente véritablement un aspect effrayant; il est sans ressources; on va manquer de pain au premier jour." Plus concis, le représentant de la France, Alquier, déclare le 8 avril: "Rome est ruinée, mais tranquille."

A Pie VII et à son secrétaire d'État incombait la tâche écrasante de réorganiser l'administration d'un pays parvenu à un degré de dénument incroyable: la Révolution en avait bouleversé les divers rouages ou dispersé le personnel rompu à la pratique des affaires. Restaurer les organes anciens dans intégralité eût été imprudent. Le passé avait comporté trop de prérogatives, de privilèges aujourd'hui surannés, voire de réels abus, pour qu'on le remit complètement en honneur. Mieux valait rajeunir les institutions, les modifier, les corriger, les mettre en un mot en harmonie avec les besoins et les idées du temps. Une congrégation formée de cardinaux, de prélats et de laiques instruits fut chargée d'élaborer un plan d'organisation. Le régime provisoire instauré par les Napolitains resta en vigueur jusqu'au 1er novembre 1800, date à laquelle on estima que le travail de la commission serait achevé.

La bulle Post Diuturnus, qui promulgua une nouvelle constitution (30 octobre 1800), laissait subsister beaucoup d'antiques usages qu'il eût convenu de supprimer.

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1. Ibidem, t. II, n. 763, p. 130 (lettre du 13 septembre 1801).
2. BOULAY DE LA MEURTHE, op. cit., t. II, p. 44.
3. Ibidem, p. 197.
4. CONSALVI, Mémoires, t. II, p. 241-244.
5. Bullarii Romani Continuatio, Rome, 1846, t. XI, p. 48-72.

Consalvi déplorait la survivance de privilèges contraires au bien public et l'imperfection des réformes adoptées. Il n'y avait à applaudir que les prélats ennemis de toute nouveauté, qui avaient défendu avec acharnement les avantages honorifiques et pécuniaires dont ils bénéficiaient. Leur contentement ne fut qu'imparfait; ils virent avec dépit la noblesse romaine appelée à participer à certains emplois publics, tels que les députations de l'Annone, des vivres et des spectacles dont les chefs avaient été jusque-là des ecclésiastiques. De même, à la place du ministre des armes fut maintenue la congrégation militaire créée par Pie VI qui comprenait le général en chef, des officiers, des nobles, le secrétaire d'Etat représenté par un prélat qui prenait le nom d'assesseur. L'institution de la garde-noble compta parmi les plus heureuses innovations. Ainsi répondait-on aux voeux des laiques qui "déjà avant la Révolution" se plaignaient amèrement de ce que tout le pouvoir demeurât concentré entre les mains des ecclésiastiques.

Consalvi crut habile de promouvoir aux charges prélatices des hommes " nouveaux " qui, "n'ayant exercé aucune fonction sous l'ancien régime," ne seraient pas enclins à se lamenter de la diminution des prérogatives et du traitement imposée par la bulle Post Diuturnus. Son calcul porta à faux "Bien loin de se prêter aux dispositions nouvelles, remarquait-il avec mélancolie, ils [les prélats] en devinrent les ennemis les plus acharnés et cherchèrent constamment à les ébranler." L'indulgence du Saint-Père jointe "aux protections puissantes dont se glorifiaient les mécontents" les encouragea dans la résistance qui "paralysa le régime" inauguré péniblement.

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1. CONSALVI, Mémoires, t. II, p. 245-248.
2. CONSALVI, Mémoires, t. II, p. 249-255.
3. Ibidem, t. II, p. 255-256.

La pénurie du trésor engagea Pie VII à introduire dans ses États la liberté du commerce. Jusque-là le Saint-Siège achetait les vivres nécessaires aux populations et les leur débitait à perte. Ce système déplorable avait entrainé sa ruine. Si condamnable qu'il fût, il n'en compta pas moins des partisans chauds, en particulier le cardinal Braschi auquel le titre de camerlingue valait le droit d'accorder des permis d'importation ou d'exportation des blés. Malgré les pronostics contraires des opposants, la mesure adoptée par Pie VII ports de réels fruits: les vivres abondèrent "même dans les saisons les moins propices" et les prix, d'abord élevés, se stablisèrent à un taux modéré; d'ailleurs, les monopoles avaient été sévèrement interdits. 1

Le retrait de la monnaie de mauvais aloi et la circulation rendue plus active de l'or et de l'argent le remboursement des deux cinquièmes de la dette publique, le paiement d'une indemnité aux acquéreurs de biens nationaux qui avaient renoncé àjouir de ceux-ci, les encouragements prodigués à l'agriculture et à l'industrie, la bonne gérance des derniersde l'Êtat, le meilleur fonctionnement des administrations municipales, tous ces divers éléments concoururent à acheminer le pays vers la prospérité matérielle, qui se serait sans nul doute accrue si de nouveaux malheurs n'avaient affligé le Saint-Siège. 2

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Bibliographie - Sources: Voir l'introduction bibliographique, p. 25 et 26, et
Correspondence de Napoléon 1er, Paris 1855-1870, t. XIX-XX.
1. CONSALVI, t. II p. 256-261, 267-269.
2. Ibidem, t. II, 261-267, 381-382.

§ 3. - Napoléon Ier, Murat et Pie VII.

§ 4. - La Deuxième Restauration du Gouvernement Pontifical (1814).

Le 4 mai 1814, parassait à Césène un édit qui rétablissait la souveraineté temporelle du Saint-Siège1. A Rome élait institué un gouvernement intérimaire composé d'un délégué - Mgr. Rivarola - et d'une commission d'Etat dont dépendraient quatre autres délégués chargés de gouverner les territoires de Pesaro et d'Urbano, de Pérouse, de Spolète et de Viterbe. Le secrétaire d'Etat aurait la haute main sur tout ce personnel administratif.

L'entrée en fonctions de Mgr. Rivarola ne donna lieu à aucun incident désagréable (10 mai 1814). Le représentent du roi de Naples remit le gouvernement de Rome aux mains du maire Chigi qui n'opposa nulle résistance quand le délégué l'en priva2. Un édit, publié le 13 mai, marqua une réaction très nettecontre le passé. Il abolit le code Napoléon, supprima l'état civil, les droits d'enregistrement et de timbre, l'administration des domaines. Par contre, l'ancienne législation civile et criminelle était remise en vigueur. On ne conservait des usages français que le système

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Bibliographie - Sources:
C. Cantú, Corrispondenza di diplomatici della Republica e del regno d'Italia, 1796-1814, Milan, 1884.
Il. Rinieri, Il congresso di Vienna e la Santa Sede (1813-1815), Rome, 1904.
B. Silvagni, La corte e la Società Romana nei secoli XVIII e XIX, Florence, 1883, t. II, p. 697-770.
Travaux. - Il ritorno trionfale di Pio VII a Rome (24 maggio 1814) dans La Civilta Cattolica, 1914, t. II, p. 519-534.
L. Madelin, La Rome de Napoléon, Paris, 1906.
L. Molinari, Negli albori del Risorgimento. La restaurazione in Romagna, nov. 1803 - luglio 1815, Palerme, 1909.

1. Rinieri, Il congresso di Vienna, p. 658-659 en a publié le texte.
2. Madelin, La Rome de Napoléon, p. 676 - La proclamation de Murat témoigne d'une rare inconscience; il osait dire: "J'ai occupé votre pays moins en conquérant qu'en ami!"
C. Cantù, Corrispondenza di diplomatici, p. 456.

hypothécaire et l'on suspendait jusqu'à nouvel informé l'exercise des jurisdictions particulières et les droits féodaux ou baronaux. Une commission ecclésiastique statuerait sur les biens des corporations religieuses, du clergé séculier et des oeuvres pies séquestrés sous le régime Napoléonien.

Le Saint-Père eút été en droit de châtier sévèremant ceux de ses sujets qui l'avaient trahi. Il usa, au contraire, d'une extréme mansuétude. Les comtes Marescotti et Giraud, qui avaient participé à son enlèvement en 1809, eurent pour geôle leur palais; et encore, cette peine bénigne se commua, au début de juin 1814, en l'interdiction de quitter Rome. Trois anciens valets du Pape qui avaient guidé Radet jusqu'à ses appartements encoururent les galères. Seize Romains, coupables d'avoir coopéré à l'assaut du Quirinal, furent condamnés à l'exil. Les membres du patricait qui avaient accepté les fonctions de maire et d'adjoints à l'époque napoléonienne se virent exclus du palais pontifical. La destitution fut infligée au vice-gérant Atanasio et la mantelletta violette retirée à sept prélats. Quant aux assermentés, une commission cardinalice les soumit, suivant le degré de leur culpabilité, soit à la rétractation, soit à la perte de leurs bénéfices. La révocation frappa encore un grand nombre d'employés infidèles. Toutes ces mesures de rigueur ne tardèrent pas à perdre leur effet: le 27 juillet 1814, l'amnistie fut accordée à certaines catégories de gens prévenus d'infidélité et de désobéissance2. Pie VII, rentré à Rome le 24 mai au milieu des acclamations de son peuple3, poussa même la générosité jusqu'à pardonneraux Sforza Cesarini, aux Braschi, aux Gabrielli et aux Buoncompagni qui pourtant avaient adhéré avec éclat à Napoléon Ier: bien plus, il accueillit dans ses Etats le Cardinal Fesch, Mme. Mère et les Borghèse! il n'y eut que les Juifs et les francs-maçons à pâtir de son retour: les uns durent réintégrer le Ghetto, les autres partir en exil.

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Bibliographie - Sources
Voir l'introduction bibliographique, p. 27, et Relazione del viaggio di Pio Papa VII a Genova nella prima-vera dell' anno 1815 e del suo ritorno in Roma scritta dal Cardinale Bartolomeo Pacca, Orvietto, 1833.

TRAVAUX. - A. Sorel, L'Europe et la Révolution française, Paris, 1904, t. VIII.
N. Bianchi, Storia della Diplomazia Europea in Italia, Turin, 1865, t. I (extraits de nombreux documents).
De Pradt, Du Congrès de Vienne, Paris, 1815, 2 vol.
H. Houssaye, 1815, Paris, 1893.
A. Dufourcq, Murat et la question de l'unité italienne en 1815, dans Mélanges, t. XVIII (1898), p. 207-270, 315-361.
A. Lumbroso, Gioacchino Murat e le aspirazioni uniterie italiche del 1815, in occasione di un recente lavoro, Rome, 1899.
Il. Rinieri, Le deliberazioni del Congresso di Vienna, dans La Civilta Catholica, 1915, t. I, p. 401-419.
Artaud de Montor, Histoire du Pape Pie VII, Paris, 1836, 2 vol. (avec documents).
G. Oncken, L'epoca della Rivoluzione dell' Impero a delle guerre d'indipendenza (1789-1815), traduction italienne, Milan, 1889-1892, 2 vol.
Vicomte de Richemont, A la veille du Congrès de Vienne d'après les dépêches inédites du Cardinal Consalvi, dans Le Correspondant, 25 juin 1902, p. 1013-1027; Un essai de Concordat entre l'Angleterre et le Saint-Siège, ibid., 25 septembre 1905, p. 1114-1133, et 10 octobre 1905, p. 60-78; Consalvi à Paris en 1814, ibid., 25 octobre 1905, p. 246-264 (articles très neufs avec extraits des dépêches de Consalvi).
B. Maresca, Murat e il congresso di Vienna del 1815, dans ANSP, t. VI (1881), p. 732-773.
F. Lemmi, Gioacchino Murat e le aspirazioni uniterie del 1815, ibid., t. XXVI (1901), p. 169-222 (avec documents en appendice).
D. Spadoni, I voluntari per l'indipendenza italiana nel 1815, dans AMM, t. X, série II (1915), 297-330; Bologna e Pellegrino Rossi nel 1815 par l'indipendenza d'Italia, dans RSRI, (1916), p. 135-152.
G. Gallavresi, Le Prince Talleyrand et le Cardinal Consalvi. Une page peu connue de l'Histoire du congrès de Vienne, dans RQH, t. LXXVII, (1905), p. 158-172.

G. Goyau, dans Autour du Catholicisme social, 4e série, Paris, 1909, p. 85-121.
A. Sorel, L'Europe et le Saint-Siège en 1815, dans Revue bleue, 15 avril 1905, p. 449-452, et 22 avril 1905, p. 499-502 (les trois auteurs précédents ont écrit d'après l'ouvrage de Il. Rinieri souvent cité).

§ 5. - Le Congrès de Vienne.

Murat, dont jusqu-là Pie VII avait repoussé les astucieuses avances, repritses menées contre le pouvoir temporel. Mgr della Genga reçut mission de les combattre de vive voix près des gouvernements alliés1. Un autre danger s'avéra bientôt; il y avait à craindre que les princes réunis à sacrifiassent les intérèts du Saint-Siège2. Consalvi, nommé à nouveau secrétaire d'État le 17 mai 1814, parut l'homme seul capable de revendiquer les biens de l'Église.3 Arrivé à Paris, le 2 juin, il prit connaissance du traité signé là-même le 30 mai dont l'article III assurait à la France "la possession de la principauté d'Avignon, du Comtat Venaissin."4

( Under Construction . . . )

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1. Ch. Van Duerm, Correspondance du Cardinal Hercule Consalvi, p. XXVI-XXVIII (lettre du 3 mai 1814 à François Ier). Les instructions de della Genga ont été résumées par Il. Rinieri, Il congresso di Vienna, p. 104-107.
2. Les inquiétudes de Pie VII, s'expriment dans diverses lettres publiées par Van Duerm, ut s., p.29-36.
3. Ses instructions sont datées du 20 mai 1814; voir Il. Rinieri, op. cit., p. 663-665.
4. Neumann, Recueil des Traités, t. II, p. 466.

§ 6. - L'exécution du Traité de Vienne.

Les autorités autrichiennes mirent le plus mauvais vouloir à exécuter les clauses du traité du 12 juin 1815; elles s'ingénièrent plutôt à en neutraliser les effets. Ce fut avec surprise que Consalvi reçut la visite du chevalier Lebzeltern qui se disait "autorisé à faire une convention pour le remise et évacuation des États du Saint-Siège." Le cardinal n'eut point de peine à démontrer l'inanité d'une pareille prétention, puisque la question avait été tranchée à Vienne; il n'y avait

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Bibliographie - Sources:
Ch. van Duerm, Correspondence du Cardinal Hercule Consalvi avec le Prince Clément de Metternich, Louvain, 1899
N. Bianchi, Storia Documentata della Diplomazia Europea in Italia dell'anno 1861, Rome, 1869-1872, t. I.
1. Ch. van Duerm, Correspondence du Cardinal Hercule Consalvi avec le Prince Clément de Metternich, p. 68-69.
2. D'Angeberg, Le Congrès de Vienne et les traités de 1815, t. IV, p. 1450, 1453 et 1924.

plus qu'à "fixer les routes d'étapes" des forces impériales et à s'entendre sur le "remboursement" des fournitures qui leur seraient nécessaires. 1 Sur ces points épineux l'accord tarda à s'établir et ne se réalisa que le 30 novembre 1816; encore la ratification par Francois Ier ne fut-elle notifiée que le 22 février 1817 2 et le remboursement non encore effectué en septembre 1820 malgré des réclamations réitérées. 3

Le comte de Saurau créa des difficultés autrement grandes. Il refusa d'évacuer l'État ecclésiastique avant qu'eût été signé un compromis relatif à la liquidation des dettes publiques et au paiement des pensions expressément désignées dans le texte du traité de Vienne. Consalvi intervint à nouveau et fit valoir qu'un échange de vues avait eu lieu à ce sujet avec Metternich: les modalités du compromis seraient discutées à Milan "trois mois après la fin du Congrès." 4 Le comte s'entêta dans son idée; puis, il se ravisa et donna l'ordre d'opérer la remise des provinces Pontificales "virtuellement et pro forma ... peu à peu, graduellement, ... avec une extrême régularité," de manière à la trainer en longueur et à garder l'administration du pays le plus longtemps possible. La remise "matérielle et réelle" serait différée jusqu'à l'établissement d' "un dernier procès-verbal général." Entre temps, les Autrichiens exigeaient des sujets Pontificaux "des sommes énormes" et les obligeaient à acquitter des contributions qui n'étaient pas encore échues. Leurs tergiversations aboutissaient à ce résultat que le 10 juillet 1815, "jour qui achevait les quatre semaines" convenues par la convention du

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1. Ch. Van Duerm, Correspondence du Cardinal Hercule Consalvi, p. 83 (Dépêche du 10 juillet 1815).
2. Van Duerm, op. cit., p. 168, 171-173.
3. Ibidem, p. 259, 287, 308, 333.
4. Ibidem, p. 83.

12 juin précédent, lévacuation n'était pas accomplie; bien plus, on avait demandé un délai d'une semaine, Consalvi prévit qu'on le leurrait encore; c'est pourquoi il intervint avec une telle fermeté près du prince de Metternich et menaça de telles représailles 1 que, le 18 juillet, Monseigneur Giustiani prenait possession de la légation de Bologne, Tibère Pacca de celle de Romagne et Monseigneur Bernetti de celle de Ferrare. La remise des Marches d'Ancône, de Macerata et de Fermo fut prorogée jusqu'au 25 juillet; 2 mais, avant de se retirer, les Autrichiens firent sauter en partie les fortifications d'Ancône et enlevèrent les pièces d'artillerie servant à la défense de la place forte. 3 Outré du procédé désinvolte, Pie VII manifesta l'intention de publier une protestation solennelle et d'exiger des dédommagements; dans la suite, il se radoucit et réduisit ses exigences au réarmement de la fortresse (aout 1816). 4

De son côté, la cour de Naples ne se résignait pas à la perte de Ponte Corvo et du Bénévent. Elle proposa au Pape en échange une rectification de frontière et des indemnités pécuniaires, vainement d'ailleurs. C'est alors qu'elle complota de ravir par la violence ce qu'elle convoitait ardemment, à la faveur d'une vacance du Saint-Siège escoptée comme prochaine, vu le grand âge de Pie VII. 5 Cette alternative tardan trop â se produire, Ferninand IV réclama la médiation de l'Autriche conformément à l'article II du traité secret du 12 juin 1815 et offrit de céder les droits qu'il possédait sur le duché de Castro et de Ronciglione 6

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1. Van Duerm, op. cit., p. 85-86
2. Civilta Cattolica, 1916, t. I, p. 405-407 et Il Rinieri, Il congresso di Vienna, 639-640.
3. Van Duerm, op. cit., p. 84.
4. Ibidem, p. 90-93, 152-153.
5. Dépêche de Kaunitz du 23 juin 1817, dans Van Duerm, p. 186.
6. Van Duerm, Ibidem

Metternich connaissait les répugnances des cardinaux à consentir une aliénation quelconque des principautés 4: il s'imagina les vaincre en mettant "dans la balance des indemnités un sacrifice personnel," qui "consisterait à renoncer de la part de l'Autriche en temps de paix au droit de garnison dans les places de Ferrare et de Commachio... et à ne réserver ce droit, par une convention particulière entre les deux cours, que pour le cas de guerre." 2 Cette offre que le prince qualifiait mielleusement de "désintéressée" s'inspirait du plus pur égoisme: son acceptation eût entrainé de fort graves conséquences dont la non moindre aurait été d'annuler la protestation officielle émanée du représentant du Saint-Siège le 14 juin 1815 contre l'occupation des deux forteresses qu'avait sanctionnée le traité de Vienne.

Consalvi n'eut point l'ennui de décliner la médiation de l'Empereur, car la révolte militaire survenue à Naples en juillet 1820 interrompit brusquement les projets d'agrandissement du Royaume. Mais l'événement fortuit le jeta dans de nouvelles angoisses: il ne douta pas un instant que François Ier marcherait contre les revolutionnaires. "Nous sommes perdus s'écrait-il devant le ministre plénipotentiaire de Prusse; à la première nouvelle que des troupes autrichiennes auraient (sic) débouché de Ferrare, les Napolitains occuperont Rome." Aussi s'évertua-t-il à déconseiller à Metternich l'emploi de la force et à préconiser plutôt des négociations propres à "amener l'arangement des affaires de Naples." 4

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1. Dépêche de Gennotte, du 25 décembre 1819, dans Van Duerm, p. 249.
2. Letter de Metternich à Consalvi, 11 mars 1820, dans Van Duerm, p. 248.
3. Van Duerm, op. cit., p. 253.
4. Van Duerm, op. cit., p. 267 - La France prêcha la conciliation sans succès;
Lavisse et Rambaud, Histoire général, t. X, p. 75.

Les craintes exprimées par le cardinal ne se vérifièrent que trop: "le duc de Campochiaro déclara expressément que les Napolitains pénétrernient dans l'État Pontifical dès que les Autrichiens y mettraient le pied. 1 Les circonstances commandaient au SaintSiège d'observer la plus stricte neutralité, afin d'éviter des malheurs. Consalvi éluda donc systematiquement toutes les demandes exprimées par Metternich, c'est-à-dire le passage explicite des Imperiaux dans les domaines ecclésiastiques, la fourniture de leur moyens de subsistance, la cinsignation provisoire d'Ancône, la condemnation solennelle des carbonari. 2 Cette lgne de conduite qui s'imposait évitait au Pape de se compromettre "vis-à-vis d'un ennemi qui le menaçait à tout instant d'une invasion." 3 Encore moins agréa-t-il les offres spécieuses de Metternich qui lui écrivait de Troppau, le 18 décembre 1820: "M. de Lebzeltern vous dira que, pour la conservation intacte de l'Etat Pontical, l'armée entière sur le Pô est mise dès ce moment non seulement à la disposition de Sa Sainteté, mais qu'elle est placée sous ses ordres." 4 Le cardinal insistait, au contraire, malignement dans sa correspondance active sur la tranquillité qui régnait dans les terres Pontificales et sur les mesures de précautions qui y avaient été prises. 5 Deux légations de Romagne pour contenir les carbonari, qui tuent à coups de stylet." 6 Le Saint-Père se retirerait, en cas d'incursion napolitaine, dans la forteresse de Cività Vecchia. 7 On n'en vint point, heureusement,

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1. Note du 4 novembre 1820, dans Van Duerm, op. cit., p. CV.
2. Van Duerm, p. 318-320, 327-329, 343, 368, 375.
3. Van Duerm, p. 335, 336, 345.
4. Van Duerm, p. 325.
5. Van Duerm, p. 251, 260, 271, 288, 295, 297, 301, 306, 364.
6. Van Duerm, p. 358.
7. Ibidem.

à cette dernière extrémité, car les insurgés qui s'étaient portés sur Ascoli et Rieti 1 ne résistèrent pas au choc de l'armée autrichienne et se débandèrent. Le 23 mars 1821, Naples était soumise et le pouvoir absolu rétabli au profit de Ferninand IV.

L'intervention dans les affaires Napolitaines et la répression de la révolution Piédmontaise (21 mars-10 avril 1821) qui la suivit de près consolidèrent singulièrement la prépondérance militaire et politique de l'Autriche en Italie. L'indépendance du Saint-Siège pouvait se trouver en péril. Metternich n'élevait-il pas ses prétentions jusqu'à vouloir établir à Plaisance une "commission d'enquête " qui serait chargée de la censure postale et de la police politique dans toute l'éntendue de la péninsule! Consalvi combattit un semblable projet et, sur son ordre, le Cardinal Spina délégué au congrès de Vienne (octobre-décembre 1822) lui asséna le coup de grâce, en montrant que les carbonari se recrutaient surtout parmi ceux "qui haîssaient l'Autriche et gémissaient de l'asservissement où elle tenait l'Italie." 2

Ainsi, jusqu'au terme de sa carrière mouvementée Consalvi défendit avec un zèle infatigible et combien méritoire! la cause de l'Eglise, malgré son âge, ses infirmités et les attaques répétées et perfides de ses adversaires. 3 Plus conscient des réalités que la coterie qui le jalousait et décraitson labeur, le dénigrait ou minait son crédit près de Pie VII par de savantes manoeuvres, 6 il avait compris que, pour sauvegarder

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1. Van Duerm, p. 367.
2. Van Duerm, p. CXIX et, A. Debidour, Histoire Diplomatique de l'Europe depuis l'ouverture du Congrès de Vienne jusqu'à la clôture du Congrès de Berlin (1814-1878), Paris, 1891, p. 187-188.
3. Van Duerm, p. 282.
4. Cette coterie comprenait principalement les cardinaux Riganti et Severoli, les prélats Cristaldi, Bernetti, Mazzio et Barbieri; voir Van Duerm, p. 129-133, 181, 209, 255, 283, 359.

la liberté du Saint-Siège, il convenait de désolidariser sa cause de celle que l'Autriche poursuivait méthodiquement depuis le Congrès de Vienne.

LA QUESTION ROMAINE


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